Manifestation de partisans de l’extrême droite, à Köthen, le 9 septembre. / HANNIBAL HANSCHKE / REUTERS

L’information a commencé à circuler en fin de matinée, dimanche 9 septembre, sous la forme d’une dépêche de quelques lignes publiée par l’agence de presse allemande DPA, et rapidement reprise par les principaux médias du pays. Comme le Süddeutsche Zeitung, qui en a fait état sur son fil d’actualité à 11 h 47 : « Köthen : un homme de 22 ans est mort lors d’une altercation entre deux groupes de personnes. Deux citoyens afghans soupçonnés d’homicide ont été arrêtés dans la nuit de samedi à dimanche, ont annoncé la police et le parquet de Saxe-Anhalt. Les circonstances précises dans lesquelles les faits se sont déroulés ne sont pas connues à ce stade. Les enquêteurs étudient toutes les pistes. »

Sur les réseaux sociaux, la nouvelle se répand comme un feu de paille. En quelques minutes, le hashtag #Köthen s’impose parmi les plus utilisés sur Twitter, en Allemagne. Un autre lui est presque systématiquement accolé, #Chemnitz, du nom de cette ville de Saxe au cœur de l’actualité du pays depuis le meurtre de Daniel Hillig, 35 ans, dimanche 26 août, pour lequel deux demandeurs d’asile ont été arrêtés.

Des élus du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) ne tardent pas à réagir. L’un des premiers est André Wendt, vice-président du groupe AfD au Parlement régional de Saxe. « Le massacre continue. Mais les vieux partis et les médias n’ont rien d’autre à faire que de diffamer les citoyens en colère et de faire taire ceux qui les critiquent. #VoterAfD », écrit-il dès 12 h 23 sur Twitter.

A l’indignation s’ajoutent bientôt des appels à la mobilisation. En début d’après-midi, plusieurs petites organisations d’ultradroite annoncent qu’elles organiseront une « marche » à Köthen, à 19 heures. A l’instar du petit parti néonazi Die Rechte, qui publie le communiqué suivant : « Chemnitz était déjà un signal clair et un avertissement adressé au régime pour dire que nous, Allemands, ne sommes plus disposés à rester les bras croisés quand nos concitoyens sont massacrés par des migrants. Colère, deuil et résistance ! Que les étincelles de Chemnitz jaillissent sur Köthen ! Le vent tourne. »

« Devenir des loups »

A Chemnitz, l’extrême droite avait mobilisé 800 personnes, le 26 août, quelques heures seulement après l’annonce du meurtre de Daniel Hillig. Le lendemain, les manifestants étaient six fois plus nombreux, et la police avait été incapable de les maîtriser. Quinze jours plus tard, le même scénario sera-t-il rejoué à Köthen ? Conscientes du risque, les autorités locales et régionales multiplient les appels au calme. C’est notamment le cas du ministre de l’intérieur du Land de Saxe-Anhalt, Holger Stahlknecht. Dans un entretien avec l’agence DPA publié en début d’après-midi, ce membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) de la chancelière Angela Merkel explique qu’il « comprend les préoccupations de [ses] concitoyens », mais leur demande de « garder la tête froide ».

En réalité, la mobilisation sera bien plus importante que celle du premier jour à Chemnitz : 2 500 personnes au total, selon les autorités, soit trois fois plus que lors de la première manifestation organisée à Chemnitz, et ce dans une ville près de dix fois moins peuplée (26 000 habitants contre 240 000).

Parmi les personnes présentes, plusieurs figures bien connues de l’ultradroite allemande prendront la parole, à la nuit tombée, devant la petite aire de jeu où a eu lieu le fait divers de la veille au soir. Parmi elles, David Köckert, un ancien cadre du parti néonazi NPD, s’inquiète de la « guerre raciale » qui a été déclarée au « peuple allemand », s’en prend à la « presse de caniveau, antisociale et antinationale », et enflamme l’assistance en hurlant : « Voulons-nous rester des moutons ou voulons-nous devenir des loups et tous les déchiqueter ? »

Cette assistance, qui est-elle ? En réalité, plusieurs sous-groupes la composent. Certains, avec leurs crânes rasés, leurs tatouages, leurs tee-shirts et leurs lunettes de soleil portées malgré la nuit tombante pour éviter d’être identifiés, appartiennent de toute évidence à l’ultradroite. Quelques voitures aux couleurs de l’AfD sont garées près du lieu de rendez-vous. Plusieurs responsables locaux, présents à une réunion organisée plus tôt dans la journée dans la ville voisine de Dessau, ont fait le déplacement. Mais des centaines d’autres participants sont tout simplement venus de la rue d’à côté ou d’une petite ville voisine.

C’est le cas de Matthias. Médecin âgé de 63 ans, il a appris la tenue du rassemblement « en regardant les infos sur Internet ». Köthen est à une heure de route de chez lui, mais il n’a pas hésité. « Le type qui est mort hier est un des trente Allemands qui serait encore en vie sans la politique criminelle de cette truie de Merkel », dit-il. Cela ne le dérange-t-il pas de manifester au côté de néonazis ? « Absolument pas, répond-il. C’est important de montrer qu’il n’y a pas que des nazis dans des rassemblements comme ça. »

« La dictature de Merkel »

En l’entendant, un homme s’invite dans la conversation : « Vous avez raison, cher monsieur. Ça suffit de nous traiter de nazis. » Celui-là a 50 ans, il a défilé à Chemnitz la semaine dernière. « C’est la deuxième fois de ma vie que je manifeste. La première, c’était en 1989, pour renverser la dictature communiste. Cette fois, c’est pour en finir avec la dictature de Merkel », dit-il. Ancien « fidèle » de la CDU, il fait partie des 18 % d’électeurs de la circonscription de Köthen ayant voté AfD aux législatives de 2017 – la moyenne nationale étant de 12,6 %.

Un peu avant le début de la manifestation, la police diffusera un nouveau communiqué précisant que la victime est « décédée d’un arrêt cardiaque sans rapport direct avec les blessures subies au cours de l’altercation ». Trop tard : dans la rue, tout le monde parle d’un « meurtre », certains assurent même qu’il s’agit « encore une fois d’une attaque au couteau ».

Accompagnée de sa sœur, Martha avait « déjà peur depuis quelque temps de sortir la nuit ». Cette fois, « c’est décidé, c’est fini ; d’ailleurs, maintenant, je rentre chez moi ». Il est presque 21 heures. Quelques mètres plus loin, quelques dizaines hommes marchant d’un pas déterminé se mettent à scander : « National-socialisme ! Maintenant ! Maintenant ! Maintenant ! »