Des bergers près de Mopti, dans le centre du Mali, en mars 2013. / JOEL SAGET/AFP

Au Mali, la polémique enfle au sujet de « l’accord de paix » signé mardi 28 août à Sévaré entre les communautés peule et dogon du cercle de Koro. Sous l’égide du Centre pour le dialogue humanitaire Henry-Dunant (HD Centre), 34 chefs de village ont signé ce document dans lequel sont notamment évoquées les causes des violences qui touchent le centre du Mali depuis 2016.

Dans les cercles de Koro, Bandiagara, Bankass et Douentza, attaques, pillages, assassinats et vols de bétail sont liés, selon des experts locaux, à la réduction des zones agricoles due à la conjonction de facteurs climatiques et politiques. A ce jour, le conflit intercommunautaire a fait une centaine de morts et environ 12 000 déplacés, selon les autorités locales. Les premiers bénéficiaires en sont les groupes djihadistes présents dans la zone, qui, comme ils l’avaient fait dans le nord du pays, instrumentalisent les tensions tout en se posant en garants de l’ordre social.

Aussitôt signé, l’accord de Sévaré a suscité des réactions mitigées, laissant entrevoir les nombreux obstacles à sa mise en œuvre. Alors qu’un de ses conseillers était présent à la signature, Youssouf Toloba, le « chef d’état major » de la milice des chasseurs dogon Da Na Amassagou, a dénoncé l’accord. « Ce que Toloba a dit, c’est que les vrais acteurs n’ont pas été impliqués. Les chefs de village ne peuvent pas signer parce qu’ils n’ont pas les armes. Ceux qui ont les armes sont en brousse », affirme Moïse Sagara, le secrétaire général de la milice.

Pour Abdel Kader Sidibé, chef de mission du HD Centre, il est cependant important de cerner en premier lieu les relations entre les communautés et les groupes armés : « A chaque fois qu’il y a une menace ou une attaque, ce sont les mêmes chefs de village, qui ont d’abord organisé leurs enfants en groupes d’autodéfense, qui font appel aux groupes armés. »

« L’insécurité est un marché »

Le 2 juillet, Youssouf Toloba avait rejeté un premier cessez-le-feu facilité par la même ONG. Sa position le place sur l’échiquier comme un obstacle à la paix et certaines sources voient son ombre derrière les incidents survenus samedi 8 septembre : une attaque contre des forains a fait cinq morts et trois blessés à Dioungani, dans le cercle de Koro ; le même jour, des dozos (chasseurs dogon) ont attaqué Komboko, un village peul, tuant dix personnes et faisant de nombreux blessés.

« L’insécurité est un marché : les razzias d’animaux, les trafics de carburant… Le retour de la paix va mettre beaucoup de monde au chômage », estime le journaliste Adam Thiam, fin connaisseur de la région. Selon Abdel Kader Sidibé, « des individus profitent de cette situation pour voler du bétail, des bijoux et de l’argent, attaquer des villages et vider des greniers ».

Les récentes attaques ont soulevé des questions sur la capacité des signataires à peser sur le processus de paix en l’absence de l’Etat. « Tant qu’il n’y a pas un déploiement des forces de l’ordre dans les zones sensibles, ces accords risquent de faire long feu », juge Mohamed Ag-Erless, de la Mission gouvernementale d’appui à la réconciliation. « Ceux qui ont les armes seront désarmés par la force, car on ne va pas tolérer qu’il y ait des groupes armés sur le territoire », promet Sidi Alassane Touré, le gouverneur de la région de Mopti.

Si l’accord de Sévaré est considéré comme une étape importante dans la résolution des conflits qui secouent le centre du pays, la paix est loin d’être acquise. Selon divers experts, la stabilisation à long terme passera par l’établissement de bases militaires dans les zones considérées comme les sanctuaires des djihadistes et la fin de la stigmatisation dont sont victimes les Peuls, qui devront à leur tour « considérer les djihadistes comme des forces adverses et pas comme des forces amies », conclut Adam Thiam.