Etre adulte, c’est marcher sur le trottoir sans s’abstenir de poser le pied sur les rainures au sol. Enfant, on sautillait de margelle en margelle, en prenant soin d’éviter ces sillons qui seraient comme des lasers, de la lave, ou tout autre danger. Las ! C’était avant. Mais depuis qu’il est sorti, vendredi 7 septembre, le jeu Spider-Man ressuscite l’excitation enfantine de se déplacer en ville en transformant le mobilier urbain en joujou.

Un des premiers plaisirs procurés par cette nouvelle exclusivité PlayStation 4, sortie le 7 septembre, est purement déambulatoire. C’est celui de fuser à travers les gratte-ciel de New York, en se balançant de toit en toit, de grue en grue, d’hélicoptère en hélicoptère ; de se jeter des défis, comme prendre appui sur des arêtes, virer à 180 degrés entre deux buildings serrés, ou encore, taïaut !, de se laisser choir sur une cinquantaine de mètres, raser les voitures, repartir vers les cieux.

C’est le plaisir du cloche-pied, mais de cheminée en cheminée ; la légèreté de la marelle, mais à flanc d’Empire State Building ; et l’ivresse de la balançoire, mais à l’échelle d’une mégalopole. Spider-Man est un square pour enfants, mais pour adultes.

Le héros derrière le super-héros

Le second charme de la superproduction de Sony est mimétique. Tout dans le jeu concourt à donner vie à ce costume de pixels, de sa modélisation d’une finesse époustouflante à ses animations d’une souplesse confondante, en passant par sa démarche nonchalante et ses réparties insouciantes. Le jeu d’acteur particulièrement convainquant de Donald Reignoux, doubleur officiel du Tisseur dans les films The Amazing Spider-Man, donne une chair, un charme et une présence évidentes au super-héros – comme du reste l’ensemble du casting aux nombreux personnages.

[VF] Marvel's Spider-Man - Trailer de lancement | Disponible | Exclu PS4
Durée : 01:01

Même le système de combat chante le super-héros de Stan Lee. Le tisseur n’est pas qu’un cogneur. C’est un adolescent facétieux, qui se glisse entre les jambes de ses adversaires, les entortille aux murs, les suspend au plafond d’une démarche chaloupée insolente… Rarement les mouvements d’un jeu auront autant exprimé la malice du protagoniste.

Mais l’expérience va plus loin encore. Le titre développé par Insomniac Games donne à expérimenter la double vie de Peter Parker – par ses échanges avec son ex, la journaliste Mary Jane ; par ses séquences de résolutions de puzzle, en civil, dans le laboratoire du docteur Octavius ; par ses passages à visage découvert au F.E.A.S.T., un foyer d’accueil pour les plus démunis… Peut-être est-ce là que Spider-Man est le plus intéressant, bien plus que dans ses airs somme toute classiques de jeu d’action en monde ouvert.

Budget maxi, idées mini

Bien des critiques lui reprochent en effet, et en partie à raison, d’être un énième Spider-Man. Ce qui le distingue, c’est sa réalisation à décrocher la mâchoire, son sens du détail inédit et ses moyens colossaux – on a chronométré plus de 25 minutes de générique final. Mais pour le reste, le dernier blockbuster de Sony apparaît davantage comme un jeu classique que comme un titre révolutionnaire.

La plupart des capacités du héros ne sont des nouveautés que pour ceux qui n’ont pas joué aux précédents Spidy en 3D. Même dans sa construction, le titre d’Insomniac Games ressemble davantage à une synthèse de tout ce qui se fait ailleurs. Les tours et la carte saturée d’objectifs d’Assassin’s Creed, les camps d’ennemis à nettoyer de Far Cry, Mad Max, Shadow of the Mordor et tant d’autres, jusqu’à cette séquence d’hallucination qui ne fait qu’évoquer toutes celles déjà vues les jeux précités… Spider-Man n’invente rien. Il se contente de le faire avec plus de moyens, et souvent, plus de brio.

L’Amérique d’Obama

Alors, il reste le plaisir de s’intéresser à cette vie de super-héros, au rapport de Spider-Man à New York. C’est là, dans cette narration diffuse, que le titre est le plus fascinant. D’abord parce qu’il offre un regard symétrique à celui d’un classique d’il y a pile dix ans, GTA IV.

A travers les magouilles à la petite semaine de Niko Bellic, un émigré, le jeu de Rockstar était une satire de l’Amérique de Bush et des crispations sécuritaires et xénophobes de l’après-11-Septembre. Spider-Man, lui, est un personnage aérien. Symbole conquérant de l’Amérique d’Obama – le projet a débuté en 2014 – il montre un héros qui survole la ville, la protège, et inspire ses citoyens.

Spider-Man, tel qu’en lui-même. / Insomniac Games / Sony

Si le jeu s’échine à raconter quelque chose, c’est, à travers son héros, l’importance des modèles. Cela commence d’abord par ces petites idées en apparence gadget, comme un faux fil Twitter avec les 15,3 millions d’abonnés au Tisseur ; ces passants qui l’interpellent pour un selfie ou une poignée de main ; ou sur un ton plus grave, un poster « Inspirer, motiver, progresser, réussir » dans une salle de F.E.A.S.T., à la vue des rejetés du système.

Ces héros qui ne sont pas en couverture

Mais plus en profondeur, ce qui rend Peter Parker unique dans ce Spider-Man, ce n’est pas tant ses pouvoirs que sa capacité à inspirer les autres et à leur faire de la place. A commencer par Mary Jane, que le joueur apprend à voir non plus comme l’amoureuse d’un super-héros, mais comme une journaliste enquêtrice intrépide ; ou Miles Morales, jeune geek métisse latino et afro-américain, que l’homme-araignée prend sous son aile. Dans le canon de Marvel, il deviendra son successeur.

En donnant régulièrement à jouer ces deux personnages, Spider-Man opère un décentrement qui est évidemment très politique : le super-héros voltigeur se fait champion de l’inclusivité, un thème particulièrement cher à Disney et Marvel. A cet égard, la quantité impressionnante de réglages permettant d’ajuster le jeu à toutes formes de sensibilités et de handicaps, visuels comme cognitifs, n’a rien d’anodin. A l’image de son héros, Spider-Man est un jeu qui cherche à tendre la main.

Face à cette posture solidaire et optimiste, les méchants sont à la fois le point fort et le point faible de l’histoire. Point fort, parce qu’eux aussi sont admirablement bien joués, étranges à souhait, et spectaculaires à affronter. Mais points faibles, également, parce que leurs motivations sont souvent caricaturales, et les nombreux revirements de personnalité des uns et des autres écrasent de leur lourdeur une narration qui avait longtemps fait preuve de finesse et d’habileté.

L’ombre de Batman

D’une manière générale, le bugget de Spider-Man est son pacte faustien. Grâce à lui, il offre un New York éblouissant, un héros hypnotisant, et une expérience d’une qualité cinématographique rare. Mais à cause de lui, il s’enferre à vouloir rentabiliser coûte que coûte cette cour de récréation hors de prix. Et pour cela, après une première dizaine d’heures qui s’approche de la perfection, il s’abaisse à tomber dans le remplissage, les missions redites, les quêtes annexes sans enjeu, les twists scénaristiques forcés, la collecte fastidieuse de points d’expérience et d’améliorations.

C’est également un titre qui, à mesure qu’il progresse, abandonne l’ambiance solaire de ses premières heures pour s’aventurer dans une vision plus sombre et tourmentée de son univers. Comme si, hanté par l’expérience fondatrice de la trilogie Batman Arkham en 2009-2013 – modèle indépassable du jeu de super-héros, à qui il emprunte le mélange de combat, d’enquête et d’infiltration, et même les séquences introspectives, Spider-Man se forçait de manière très artificielle à donner dans le sombre et le tourmenté. Jusqu’à parfois se perdre.

Mais une fois la vingtaine d’heures d’aventure passée, le New York de Spidy redevient celui que l’on connaît : entraînant, jubilatoire. Paradoxe d’un jeu vidéo qui chante l’importance des modèles, et qui n’est jamais meilleur que lorsqu’il ne cherche rien d’autre qu’à être lui-même.

En bref

On a aimé :

  • La réalisation ébouriffante
  • Le magnifique hommage à Spider-Man
  • Les nombreux moments mémorables

On n’a pas aimé :

  • Le recyclage d’idées et de situations à partir de la dixième heure
  • Une superbe synthèse, mais peu d’originalité

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous êtes un yamakasi dans l’âme…
  • … ou un amoureux de New York
  • … ou du genre à traquer les caméos de Stan Lee
  • Vous aimez les jeux Batman Arkham et Assassin’s Creed

Ce n’est pas pour vous si…

  • Vous en avez marre des jeux en monde ouvert
  • Vous êtes #TeamBatman

La note de Pixels :

Empire State Building/10