Le pesticide « Roundup » en vente dans un magasin de Bonneuil-Sur-Marne, près de Paris, le 16 juin 2015. / Charles Platiau / REUTERS

C’est peut-être la première fois qu’un prélat de l’église catholique s’associe à un texte publié par Charlie Hebdo. L’hebdomadaire satirique devait rendre public, mercredi 12 septembre, un appel demandant l’interdiction immédiate de tous les pesticides de synthèse, soutenu par diverses personnalités dont Marc Stenger... l’évêque de Troyes (Aube). Intitulé « Nous voulons des coquelicots » et lancé par le chroniqueur Fabrice Nicolino, rescapé du 7-janvier, l’appel se veut non-partisan et entend initier « un grand mouvement en faveur de la vie », selon M. Nicolino. « Ce n’est ni l’appel de Charlie, ni le mien, dit-il. C’est un appel lancé par des humains à d’autres humains. »

A l’heure actuelle, poursuit le chroniqueur, « le texte est signé par cent personnes qui ne sont pas particulièrement connues ou médiatiques, mais qui sont le reflet de la société française ». Le texte est néanmoins, d’ores et déjà, endossé par des associations, des personnalités scientifiques ou du monde médical, ou encore issues de l’univers du spectacle. M. Nicolino cite notamment Greenpeace, la Fondation Good Planet de Yann Arthus-Bertrand, la fédération d’associations France Nature Environnement, l’animateur Laurent Baffie, la chanteuse Emily Loizeau, le docteur Pierre-Michel Périnaud, président de l’association Alerte des médecins sur les pesticides (ALMP), forte de 1200 membres, Didier Robiliard, le président de l’association France-Parkinson, ou encore le sénateur Joël Labbé (EELV)...

« Nous ne reconnaissons plus notre pays »

« Il y a des gens de gauche, mais aussi des personnalités proches de la droite catholique, résume M. Nicolino. Ce n’est pas un nouvel appel à destination de la galaxie écolo. Il doit pouvoir être signé par toute personne qui ne veut pas vivre dans un monde où les gens sont de plus en plus malades, dans un monde sans oiseaux, sans insectes, sans coquelicots... » Le texte en lui-même est très bref. « Nous ne reconnaissons plus notre pays ; la nature y est défigurée, y lit-on. Le tiers des oiseaux ont disparu en quinze ans, la moitié des papillons en vingt ans ; les abeilles et les pollinisateurs meurent par milliards. Les grenouilles et les sauterelles sont comme évanouies ; les fleurs sauvages deviennent rares. Ce monde qui s’efface est le nôtre et chaque couleur qui succombe, chaque lumière qui s’éteint est une douleur définitive. Rendez-nous nos coquelicots ! Rendez-nous la beauté du monde ! »

Le caractère radical de l’exigence portée par l’appel – l’interdiction des centaines de produits phytosanitaires issus de la chimie de synthèse – n’a pas dissuadé le docteur Pierre-Michel Périnaud d’y apposer sa signature. « Il y a quelques années, je n’aurais pas adhéré à une telle demande, et j’aurais opposé une méthode plus pragmatique consistant à examiner les produits un par un, confie-t-il. Mais ce que l’on constate à mesure que les connaissances avancent, c’est que ce système d’évaluation, promu et imposé par l’industrie, et qui raisonne substance active par substance active, ne permet pas d’évaluer les risques réels. Il faudrait un demi-siècle pour réformer ce système, qui ne contrôle plus rien. Poser d’emblée la sortie des pesticides de synthèse permet de se placer dans un autre cadre d’action. »

Une action au long cours

Les premiers signataires entendent faire vivre l’appel pendant plusieurs mois et se fixent comme objectif de rassembler cinq millions de signatures en deux ans, par le truchement d’un site Internet en préparation. Une petite cocarde en tissu, en forme de coquelicot, est aussi en cours de fabrication. Fabrice Nicolino espère qu’elle deviendra rapidement à la défense de l’environnement ce que la petite main jaune arborant le « Touche pas à mon pote » de SOS Racisme a été à l’antiracisme. D’autres initiatives sont en cours. Emily Loizeau, confie travailler à l’écriture d’une chanson qui, « si le résultat est à la hauteur de la cause », dit-elle, accompagnera le mouvement. Un bref ouvrage en forme de plaidoyer, co-écrit par Fabrice Nicolino et le militant anti-pesticides François Veillerette, paraît également ces jours-ci (Nous voulons des coquelicots, LLL, 126 p., 8 euros).

Outre la publication de l’appel, Charlie Hebdo consacrera l’ensemble de son édition du 12 septembre aux pesticides, et publiera les résultats de l’analyse de mèches de cheveux prélevées dans la rédaction, dans lesquelles des traces de « phytos » ont été recherchées. « Tout le monde en est farci », prévient Fabrice Nicolino.