Le premier ministre hongrois, Viktor Orban, devant le Parlement européen, mardi 11 septembre. / VINCENT KESSLER / REUTERS

Viktor Orban avait fait le déplacement à Strasbourg mardi 11 septembre, pour dissuader les députés européens de voter le déclenchement d’une procédure visant le respect de l’Etat de droit contre son pays mais face à l’hémicycle européen, il n’a pas modéré son discours : le premier ministre hongrois a accusé l’Union européenne de se livrer à du « chantage » et estimé que l’assemblée de Strasbourg avait décidé, avant même de l’entendre, « de condamner un pays et un peuple » sur la base d’un rapport qui bafouerait leur honneur.

Ce fut un débat d’une rare violence, et d’une très grande force symbolique. C’est en effet la première fois que le Parlement européen se prononce sur le déclenchement de l’article 7 du traité de l’Union européenne [qui concerne des risques de violation grave de l’Etat de droit] contre un Etat membre. Une procédure qui n’a été déclenchée qu’une fois, par la Commission européenne, contre la Pologne fin 2017.

Aucun soutien

M. Orban, chantre de l’illibéralisme dans son pays, n’a trouvé quasiment aucun soutien y compris dans son propre camp : le Parti populaire européen, la grande famille des forces conservatrices de l’Union. Qui jusqu’à présent l’avait toujours soutenu. Seuls les élus d’extrême droite et anti-européens sont montés au créneau pour le défendre et l’applaudir. Le Britannique Nigel Farage l’a l’invité à rejoindre « le club du Brexit ». Le FN Nicolas Bay, qui le félicite de s’incarner en défenseur de l’antimondialisme, d’être « avec Salvini, le fer de lance d’une autre Europe ».

En introduction à cette discussion, la députée écologiste néerlandaise Judith Sargentini, auteure du rapport sur l’Etat de droit dans le pays, avait rappelé les valeurs égrenées à l’article 2 du Traité de l’Union et déploré, entre autres, que la Hongrie bâillonne les médias, contrôle la justice, rende difficile la vie des ONG ou facilite l’enrichissement de ses dirigeants… Et que, même montré du doigt, le pouvoir de M. Orban n’avait « rien amélioré » depuis que plusieurs commissions du parlement (liberté, contrôle budgétaire, culture et éducation, droit des femmes) aient voté en faveur de son texte.

M. Orban n’a pas non plus modifié le ton et le fond de ses propos. Au contraire, confronté à la liste impressionnante des dérives antidémocratiques recensées par Mme Sargentini, il estime que le rapport comporte « 37 erreurs ». Et il s’incarne en premier défenseur de « la nature chrétienne de l’Europe, de la nation, de la famille, de la lutte contre la migration ». Ceux qui se disent prêts à le condamner ne voudraient en fait rien d’autre, dit-il, que se venger des Hongrois qui l’ont réélu.

Discours prudent du chef de file du PPE

Le vote sur l’article 7 étant programmé mercredi 12 septembre à Strasbourg, la question sur toutes les lèvres, mardi soir à Strasbourg, était de savoir comment allaient voter les élus du Parti populaire européen (PPE), la réunion des forces conservatrices de l’Union, largement majoritaires à Strasbourg. Avec 218 élus sur 751 eurodéputés au total dans l’hémicycle, ils détiennent les clés du vote, sachant que tous les autres groupes politiques, à l’exception des extrémistes de droite, voteront pour le déclenchement de l’article 7.

Jusqu’à présent, les dirigeants du PPE avaient toujours toléré les écarts de M. Orban, fermé les yeux sur son discours violemment anti-migrants, sur ses réformes de la justice ou les conditions d’activité des ONG, allait enfin décider son exclusion. Au motif qu’il valait mieux, pour le « contrôler » et limiter ses dérives nationalistes, le garder dans la « famille ».

Le chef de file du PPE à Strasbourg, Manfred Weber, a livré un discours prudent mardi, appelant cependant au respect des libertés. Mais Joseph Daul, le président du groupe, un proche d’Angela Merkel, a tweeté sans ambiguïté dans la foulée : « L’Union européenne est fondée sur la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit, le respect des droits de l’homme et une société civile libre. Le #PPE ne fera pas de compromis là-dessus, quelle que soit l’affiliation politique. »

Le matin même, Sebastian Kurtz, le chancelier autrichien pourtant en coalition avec l’extrême droite, et jusqu’à présent proche de M. Orban, avait appelé à voter pour l’article 7. Mais la montée des extrêmes, spécialement après les manifestations de Chemnitz, semble avoir fait bouger les lignes au PPE. M. Weber, jusqu’à présent soutien important de M. Orban en interne, a infléchi son discours ces derniers jours, conscient peut-être qu’il était difficile de briguer la présidence de la Commission (il s’est déclaré candidat à la succession de M. Juncker), gardienne des traités de l’UE, en continuant à défendre la coqueluche des extrêmes droites européennes.

Difficile de maintenir M. Orban au PPE estimait une source interne mardi soir, surtout si le Parlement se prononce massivement pour l’article 7 mercredi (les 2/3 des suffrages inscrits sont nécessaires). Une décision de « suspension » pourrait être prise dès la semaine prochaine, lors d’un sommet du PPE ayant lieu à Salzburg (Autriche), le 19 septembre. « Je ne quitterai jamais le PPE, c’est Helmut Kohl qui m’a invité à y rentrer et il est mort », a de son côté mis en gard M. Orban mardi soir.

La procédure article 7 est très longue et, dans le cas de la Pologne, n’a pas encore prouvé son efficacité. Si le Parlement vote son déclenchement, une majorité de 4/5e des Etats membres est nécessaire au Conseil européen pour qu’elle soit effectivement sur les rails. La procédure permet théoriquement d’aller jusqu’à une suspension des droits de vote du pays incriminé. Mais l’unanimité des capitales est requise pour prendre cette grave décision et personne ne croit à Bruxelles que l’Union en arrivera un jour à cette extrémité.

Une probable reconfiguration des forces politiques

Pour autant, les conséquences politiques d’un vote favorable à Strasbourg pour l’article 7, seraient considérables, avec comme effet probable une reconfiguration des forces politiques en présence dans l’Union. Emmanuel Macron a basé en partie sa stratégie européenne sur un éclatement du PPE. Et les extrêmes convoitent pour leur part un ralliement de M. Orban, pour tenter de créer une union, à la droite du PPE.

Le débat de mardi n’étant pas dénué d’arrières-pensées politiques : le groupe PPE y a été mis sous pression par les autres formations démocratiques. Udo Bullman, chef du groupe social démocrate, a appelé à « la défense des citoyens hongrois et européens » et à la fin du soutien à « un système corrompu au sein de l’Union ». « Où sont vos limites ? » lançait quant à lui Philippe Lamberts, chef du groupe des Verts aux élus PPE, les invitant à cesser de soutenir un homme qui est devenu « la coqueluche des extrêmes droites européennes et américaines ». « Vous avez une occasion unique de joindre un geste fort à vos paroles », lançait l’élu belge.

Guy Verhofstadt, chef du groupe des Libéraux et démocrates, qui vient de déclarer son ralliement à M. Macron, enfonçait le clou. « Mon groupe a, naguère, expulsé Jorg Haider », rappelait-il, en affirmant que c’est « une bataille existentielle » qui se livrait aujourd’hui, M. Orban discutant, avec Matteo Salvini par exemple, d’une disparition du projet européen. Appelant le chrétien démocrate Robert Schuman à la rescousse, il priait celui qu’il appelait « Manfred » (Weber) à « mettre un terme à ce cauchemar hongrois » en votant pour l’article 7 et la condamnation du régime Orban.