Il faudra attendre une semaine pour voir Alexandre Benalla en chair et en os devant la commission d’enquête parlementaire du Sénat. Mais la séance du mercredi 12 septembre a déjà permis aux élus de mesurer l’ombre portée de ce simple « chargé de mission » à l’Elysée, qui semble au fil des témoignages avoir pris une place démesurée dans l’organisation interne du Palais durant la première année du mandat d’Emmanuel Macron. Profitant des vides laissés par sa hiérarchie, des non-dits parfois de ses supérieurs, de malentendus souvent sur son statut, le jeune homme de 26 ans s’était arrogé au fur et à mesure des territoires qui n’étaient pas les siens jusqu’aux événements du 1er mai 2018, lorsque M. Benalla a été filmé en train de se livrer à des violences contre des manifestants place de la Contrescarpe.

C’est d’abord François-Xavier Lauch, le chef de cabinet et donc supérieur hiérarchique direct de M. Benalla, qui a été entendu par les sénateurs. Une heure et demie d’une audition parfois tendue, lors de laquelle les parlementaires ont dû rappeler au sous-préfet qu’il n’était pas là « avec l’autorisation d’Emmanuel Macron » – comme il l’avait précisé en introduction – mais en vertu de la loi qui l’y oblige.

« Mis au courant des événements seulement le 3 mai »

M. Lauch a commencé par se dédouaner sur les faits eux-mêmes, arguant de sa présence en Nouvelle-Calédonie le 1er mai. Il n’a été mis au courant des événements et de la sanction (qu’il n’a donc pas décidée lui-même) seulement le 3 mai, et a affirmé avoir été « choqué » par les images. « A l’évidence, M. Benalla a agi en dehors de ses fonctions à la présidence de la République », a-t-il jugé. En revanche, il a endossé seul la responsabilité du recrutement de M. Benalla, dû à ses « grandes qualités », alors que Patrick Strozda, le directeur du cabinet, avait assuré lors de son audition qu’il était de son fait.

M. François-Xavier Lauch était venu avec la ferme intention de prouver que la sanction prononcée contre M. Benalla et la restriction de ses fonctions décidées à son retour de suspension avaient bel et bien été appliquées, malgré les nombreuses images qui le montrent après le 23 mai sur les événements impliquant le chef de l’Etat. Le chef de cabinet a assuré que son chargé de mission n’était pas au cœur du dispositif et ne s’était occupé que de la « synchronisation » des cortèges, lors de la panthéonisation de Simone Veil et de son mari ou pour la descente de l’équipe de France sur les Champs-Elysées. Avec une pudeur verbale de haut-fonctionnaire – « Il fallait, pardonnez-moi l’expression, marquer le coup » –, il a estimé qu’Alexandre Benalla avait « très mal vécu » cette rétrogradation.

Pour le reste, le chef de cabinet s’est attaché à circonscrire au maximum les missions de son subordonné (précisant qu’il n’avait pas la qualité de « chef adjoint »), assurant que celui-ci ne s’occupait « que » de l’organisation des déplacements publics et privés du président, ainsi que des réceptions au Château, le tout sous son autorité.

« Peu de prise sur les activités de M. Benalla »

Il a, en revanche, paru avoir peu de prise sur les activités de M. Benalla, indiquant n’avoir pas validé lui-même sa demande de port d’arme, n’avoir pas été sollicité pour sa participation au 1er mai et n’avoir pas été consulté pour définir la sanction. Il a également expliqué que la mission de « coordination des services de sécurité sous l’autorité du directeur du cabinet », dont le jeune homme était chargé, ne relevait pas de ses fonctions mais de celles du directeur du cabinet. Il a tout même assuré qu’elle était réduite à des questions de logistique assez triviales.

Lors de ses auditions par la justice, que Le Monde a pu consulter, M. Benalla avait pourtant donné une version beaucoup plus large de ses attributions sur le terrain en général et sur le domaine de la sécurité en particulier. Il avait notamment assuré qu’il était chargé de l’ensemble du plan de réorganisation des services de sécurité de l’Elysée, décidé par le chef de l’Etat sur une proposition qu’il avait lui-même formulée.

Le militaire a tenté de définir le rôle de Benalla comme celui d’une simple « interface »

C’est d’ailleurs sur ce point que la deuxième audition de la journée, celle du général Eric Bio-Farina qui dirige le commandement militaire de l’Elysée, était très attendue. Le patron du commandement militaire de l’Elysée, par ailleurs responsable de l’embauche ponctuelle comme membre de la réserve opérationnelle de la gendarmerie de Vincent Crase, l’autre individu mis en cause le 1er mai, a lui aussi tenu à minimiser la place d’Alexandre Benalla dans la refonte du service de sécurité, estimant qu’elle relevait de ses propres attributions. Le militaire a tenté de définir le rôle de Benalla comme celui d’une simple « interface » entre le Groupe de sécurité de la présidence de la République (le GSPR, qui assure la sécurité à l’extérieur du Château) et le commandement militaire (chargé de surveiller l’intérieur du Palais), tout en rendant hommage à la « conscience professionnelle » et au « grand sens de l’anticipation » du chargé de mission. « Il s’insérait dans un univers de renseignement dont il n’était qu’une partie », a-t-il lâché, dans une de ces nombreuses formulations nébuleuses autour du rôle exact de M. Benalla, entendues au cours de ces auditions.

Flou autour du port d’arme de Benalla

Le témoignage de M. Bio-Farina a par ailleurs permis de mettre en lumière le flou qui régnait autour du port d’arme d’Alexandre Benalla, dans un cadre professionnel ou non, quand bien même ce dernier n’était pas censé accomplir des missions de sécurité. « Je ne sais pas si Alexandre Benalla accompagnait M. Macron armé », a fini par concéder le général, interrogé à plusieurs reprises par des sénateurs dubitatifs.

En revanche, le patron du commandement militaire a réfuté le fait que le chargé de mission pouvait donner des ordres aux gendarmes ou aux policiers sur le terrain . Il a assuré qu’« Alexandre Benalla ne commandait pas de service et n’avait pas d’hommes sous ses ordres : il n’avait pas les moyens d’exercer une quelconque forme d’autorité. »

La troisième audition de la journée, celle du commissaire Maxence Creusat, devrait pourtant amener un autre regard sur ce point. Lors de son auditiion devant la justice, consultée par Le Monde, il avait en effet déclaré : « Ce que veut M. Benalla vaut demande présidentielle et il faut savoir qu’il peut aller où il veut. »

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