Chronique. Remporter une Coupe du monde suscite des lendemains qui chantent. Ils chantent aussi les louanges des héros de la victoire, dont les ego vont subir de rudes épreuves, déguisées en moments agréables pour eux : la légitime fierté d’une telle consécration peut vite être empoisonnée par les flatteries, les accès de prétention et la course aux récompenses personnelles.

Un ego hypertrophié n’est toutefois pas un handicap dans un football qui a exacerbé le culte de ses meilleurs joueurs. Messi, Neymar ou Cristiano Ronaldo sont de plus grosses entreprises que la plupart des clubs, ils comptent même plus de fans qu’eux.

Les trophées individuels pèsent au moins autant que les titres dans leur palmarès et le plus convoité d’entre eux, le Ballon d’or – le trophée « The Best » de la Fédération internationale de football (FIFA), qui sera remis le 24 septembre à Londres – reste l’objet de spéculations et de débats rituels. Dussent-ils finir par le constat que l’on ferait mieux d’ignorer ce trophée.

Au pied des podiums

L’enthousiasme patriotique étant à son comble, les médias spécialisés ont poussé les candidatures françaises, mettant même en scène une rivalité feutrée entre Antoine Griezmann et Kylian Mbappé. On en est à guetter leur éventuelle réticence à se délivrer des passes décisives.

L’hypothèse Raphaël Varane, pourtant jugée crédible il y a peu, semble déjà oubliée et on se demande pourquoi N’Golo Kanté serait moins légitime. Peut-être s’est-on rangé au constat qu’un défenseur (l’Allemand Franz Beckenbauer a été distingué en 1976, l’Italien Fabio Cannavaro en 2006) ou un milieu défensif (l’Allemand Matthias Sammer en 1996) est en vérité inéligible ?

Certains se sont déjà offusqué qu’aucun Tricolore ne figure dans le trio des finalistes du trophée « The Best », qui comprend le Portugais Cristiano Ronaldo, le Croate Luka Modric et l’Egyptien Mohamed Salah.

Griezmann, Mbappé et Varane, présents dans les dix joueurs désignés par un panel de « FIFA Legends », sont restés au pied de ce podium issu d’un « vote effectué par des fans, des journalistes, des sélectionneurs nationaux et des capitaines des équipes nationales » (ce qui dit, au passage, le caractère ésotérique de ces collèges électoraux).

Dispersion des voix

Le problème est justement que les postulants français sont trop nombreux. La dispersion des voix condamne toute probabilité d’élection malgré le poids de la case « vainqueur de la Coupe du monde ».

C’est d’ailleurs Modric qui a reçu le « Ballon d’or Adidas de Russie 2018 », une autre récompense au palmarès déroutant (l’Argentin Lionel Messi en 2014) – tandis qu’Hugo Lloris ne figure pas parmi les cinq gardiens nommés pour le « World 11 » de la FIFA, au contraire de Marc-André ter Stegen, remplaçant de Manuel Neuer au sein d’une Allemagne éliminée au premier tour…

Il est même inutile de calculer l’effet du retour du Ballon d’or dans le giron historique de France Football, depuis la fin de la coorganisassions avec la FIFA entre 2010 et 2016 : la pondération des critères (statistiques personnelles, titres, image…) par un collège uniquement composé de journalistes n’y change rien : c’est foutu.

Pogba, Varane, Griezmann et Mbappé ne peuvent même pas se désister en faveur de Kanté, incarnation de l’esprit collectif des champions du monde.

Pas de prix du jury

C’est précisément la nature de cette équipe et de sa victoire qui prive ses membres de la vaniteuse satisfaction des distinctions individuelles. A contre-courant de la tendance, les « stars » du groupe ont renoncé à ce genre de gratifications pour atteindre, en équipe, le titre suprême.

Le Ballon d’or ne s’est pas joué en Russie, où ses principaux prétendants ont encore peiné dans des sélections moins fortes et moins exclusivement à leur service que leurs clubs.

Le trophée ne reviendra donc pas à un joueur français, ni même au grand Luka Modric. Il n’y a pas, comme au Festival de Cannes, de Palme d’or audacieuse, ni même de prix du jury : personne ne peut rivaliser avec les têtes de gondoles du football mondialisé.

C’est dommage, car le Ballon d’or serait beaucoup plus intéressant (et pas moins discuté) s’il était décerné par un comité de spécialistes et de passionnés qui assumeraient une idée particulière du football et des footballeurs.

Son futur lauréat sera donc Cristiano Ronaldo (pardon pour ce spoiler), monstre statistique que l’échec du Portugal en Russie ne pénalisera pas. Il pourra contempler son reflet dans une sixième boule dorée.

Celle de la Coupe du monde renvoie l’image de vingt-trois visages, ce qui empêche d’en distinguer un seul.