Emmanuel Macron au Musée de l’homme, place du Trocadéro, à Paris, où il a annoncé les détails du plan pauvreté du gouvernement, jeudi 13 septembre. / POOL / REUTERS

Emmanuel Macron appelle « toutes les forces de la nation » à se mobiliser pour éradiquer la grande pauvreté « en une génération », et présente un plan qui ambitionne de « refonder l’Etat providence ». Cette « stratégie nationale » de lutte contre la pauvreté, présentée jeudi 13 septembre, comprend notamment des mesures de prévention de la précarité en faveur des plus jeunes, mais aussi l’instauration d’un « revenu universel d’activité » et un renforcement des dispositifs d’accompagnement au retour à l’emploi.

Professeur de sociologie à l’université Paris-VIII, membre de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale et auteur des Inégalités sociales (PUF, 2017), Nicolas Duvoux estime que « les choix économiques et politiques pris par Emmanuel Macron risquent de réduire, voire d’annuler la portée » de son plan pauvreté, qui comprend pourtant des « mesures originales ».

Si l’on met en perspective les précédents plans de lutte contre la pauvreté, quelles sont les spécificités de celui annoncé par Emmanuel Macron ?

Nicolas Duvoux  : Il y a clairement toute une partie du plan qui s’intéresse de manière spécifique à la jeunesse, à l’enfance et même à la toute petite enfance, avec par exemple le fait de favoriser l’accueil des enfants des familles pauvres dans les crèches. Ces idées s’inscrivent dans ce que l’on appelle la « perspective de l’investissement social », issue des pays nordiques et très diffusée dans les institutions européennes depuis deux décennies. L’idée principale est qu’il faut mettre en place une prise en charge universelle et de qualité de la petite enfance, pour éviter le déterminisme social.

Ce plan de lutte contre la pauvreté constitue-t-il une politique sociale crédible ?

Dans l’équilibre et le détail des mesures, c’est un plan relativement original, notamment parce qu’il intègre la notion d’investissement social et d’accès aux droits fondamentaux qu’est, par exemple, l’accès aux soins et à l’alimentation. Par ailleurs, il y a indiscutablement des moyens financiers accompagnant ce plan. Mais il y a un écart très grand entre les systèmes sociaux des pays nordiques, dont le président s’inspire, et les politiques économiques et sociales qu’il met en place durant son quinquennat.

Pour résumer, on fait un pas non négligeable dans le sens de la lutte contre la pauvreté, mais si on remet cette stratégie dans la perspective des choix de politiques sociales et économiques du quinquennat, la dimension égalitaire, voire égalitariste, n’est pas présente. Je pense notamment aux mesures prises par Emmanuel Macron concernant la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), à la déréglementation du marché du travail ou encore à la non-indexation des prestations sociales sur l’inflation. Par ailleurs, la question du débouché vers l’emploi reste la grande inconnue, dans un contexte où les contrats aidés sont annulés.

En résumé, pour lutter contre la pauvreté, il faut que la stratégie soit articulée avec des choix économiques et sociaux qui ne la remettent pas en cause. C’est là que les spécialistes sont partagés.

L’une des grandes annonces est celle du « revenu universel d’activité » fusionnant plusieurs minima sociaux, sans que l’on sache précisément lesquels. Qu’en pensez-vous ?

Avec ce plan, Emmanuel Macron remet au centre de son discours la question des « devoirs » des personnes pauvres, notamment quand il parle de leur accompagnement et surtout de leur obligation de ne pas refuser plus de deux offres d’emploi. C’est vraiment des acteurs, c’est-à-dire des collectivités locales et des personnes pauvres elles-mêmes, que va dépendre la réussite de ces mesures.

Dans le discours d’Emmanuel Macron, il y a une tension entre l’importance qu’il donne à l’humanisation de l’accompagnement, au fait de donner aux personnes la possibilité de choisir leur vie, et cette dimension de sanctions et d’obligations.

Le terme de « revenu universel d’activité » renvoie à l’idée d’opérer une synthèse entre le droit aux prestations et le devoir d’activité. Emmanuel Macron essaie de se démarquer de la critique de l’assistanat, mais il insiste en même temps sur la dimension des devoirs des personnes. Chez Emmanuel Macron, on a toujours cette tendance, qui revient souvent, à demander beaucoup à ceux qui ont peu.