L’initiative a fait moins de bruit que l’adoption, le même jour, du projet de directive sur le droit d’auteur. Pourtant, c’est aussi une pierre lancée par l’Europe dans le jardin des géants du Net. La Commission européenne a présenté, mercredi 12 septembre, un projet de règlement obligeant les hébergeurs de contenus en ligne à supprimer dans l’heure tout contenu terroriste qui leur serait signalé par un Etat membre. En cas de méconnaissance répétée de cette règle, les contrevenants s’exposent à une amende gargantuesque de 4 % de leur chiffre d’affaires annuel mondial.

Cette sanction, qui se veut dissuasive, constitue le dernier étage d’un dispositif élaboré par la Commission pour réduire encore un peu plus l’emprise numérique de la propagande terroriste.

En premier lieu, le texte crée une procédure formelle pour que les États signalent aux hébergeurs la présence d’un contenu terroriste. Une fois ce signalement motivé effectué, l’hébergeur ne disposera que d’une heure pour le supprimer. Suite à ce premier signalement, il devra prouver dans les trois mois à l’Etat à l’origine du signalement sa bonne volonté pour empêcher la réapparition du contenu supprimé et pour lutter contre des messages similaires. Au terme de cet échange, si l’Etat membre n’est pas convaincu par les garanties apportées par l’hébergeur, il pourra l’obliger à mettre en place certaines mesures techniques, de filtrage automatisé notamment. Enfin, si ce processus n’aboutit pas, l’Etat membre pourra prononcer des sanctions adaptées à la taille de l’entreprise.

Un texte qui vise large

Plus globalement, la proposition de la commission entérine un devoir de vigilance des plateformes vis-à-vis du contenu terroriste. Une notion déjà présente dans le droit européen, mais que la Commission veut plus opérationnelle.

Son texte vise large : tous les services Internet permettant la publication de texte, de son ou de vidéo sont concernés. Ce spectre englobe donc les grands réseaux sociaux (où la propagande terroriste recule) mais surtout des sites de stockage d’images ou de texte plus confidentiels, un objectif majeur pour la commission. Et peu importe s’ils ne sont pas basés dans l’Union européenne : il suffira que le service soit conçu pour les utilisateurs européens ou utilisé par un grand nombre d’entre eux pour tomber dans l’escarcelle du dispositif. Les hébergeurs basés hors d’Europe devront désigner un représentant capable de répondre à toute heure aux sollicitations des États.

« Censure privée »

Les critiques fusent déjà. Pour l’ONG de défense des libertés numériques La Quadrature du Net, la proposition de règlement « banalise la censure policière et privée ainsi que le contournement de la justice ». Le commissaire européen à la sécurité, Julian King, rejette cette notion : « Ce n’est pas de la censure. Il ne s’agit pas de prendre des décisions subjectives. Nous ne parlons pas d’une zone grise. Le contenu terroriste […] est illégal en ligne, tout comme il l’est hors ligne, et doit être retiré. »

La commission européenne met sous pression depuis plusieurs mois les plateformes numériques pour qu’elles suppriment plus rapidement les contenus terroristes. Bruxelles avait prévenu : faute de résultats, il faudrait passer par la case législative. Les géants de la Silicon Valley ont longtemps espéré échapper à ce couperet. Pour tenter de convaincre l’exécutif européen, ils ont multiplié ces derniers mois les preuves de leurs efforts, trompetant par exemple les progrès de leur intelligence artificielle. Cela n’a pas suffi : la Commission estime avoir envoyé un message clair, qui n’a pas été suffisamment entendu.