De g. à dr.  : les opposants congolais Vital Kamerhe, Félix Tshisekedi, Adolphe Muzito, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, à Bruxelles, le 12 septembre 2018. / JOHN THYS / AFP

Après Bruxelles, où ils se sont retrouvés en grande pompe mercredi 12 septembre, les leaders de l’opposition congolaise se retrouvent ce week-end à Johannesburg. Dans la capitale économique sud-africaine, des entretiens sont prévus avec des cadres du Congrès national africain (ANC) et de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), dans l’espoir de glaner un soutien et de renforcer la pression sur le régime de Joseph Kabila. Le plan initial, qui était de se rendre à Addis-Abeba, où se trouve le siège de l’Union africaine (UA), a été modifié sur les conseils du ministre belge des affaires étrangères, Didier Reynders, lequel a reçu la plupart des six leaders de l’opposition à Bruxelles. « Il nous a conseillé de voir la SADC », rapportent plusieurs opposants. L’UA est considérée comme trop mesurée à l’égard du régime Kabila.

Le chef de la diplomatie de l’ancienne puissance coloniale était fraîchement rentré de sa « tournée africaine », au cours de laquelle il a abordé la situation congolaise avec ses homologues des pays voisins, l’Angola et le Congo-Brazzaville, et de la puissance régionale sud-africaine, tous préoccupés par l’incertitude qui plane toujours sur la tenue de l’élection présidentielle censée advenir le 23 décembre. De quoi susciter l’ire de Kinshasa qui a récemment refusé le principe d’un envoyé spécial d’Afrique du Sud, l’ancien président Thabo Mbeki, et met aujourd’hui en garde « contre toute ingérence de la part des pays voisins », précisant que la République démocratique du Congo (RDC) n’est ni « une province de la Belgique » ni « une colonie de la communauté internationale ».

Le poids lourd Jean-Pierre Bemba

A trois mois du scrutin, l’opposition congolaise tente de parvenir à un consensus interne et de définir une stratégie commune. Car si le deuxième et dernier mandat de Joseph Kabila s’est officiellement terminé le 19 décembre 2016, l’opposition a jusque-là été incapable de s’unir et d’établir un rapport de forces avec le régime, qui a pris soin de la diviser et de réprimer toute contestation. Par dépit, elle avait fini par se tourner vers l’Eglise congolaise, après avoir exhorté les diplomates occidentaux à la soutenir. Avant de se tourner vers les pays de la région.

Au cours des deux dernières années, plombées par la mort, le 1er février 2017, de la figure historique de l’opposition, Etienne Tshisekedi, son fils, Félix, a repris la direction de son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), qui s’est morcelé en au moins quatre factions. Dépourvu de charisme et de moyens, ce candidat à la présidentielle s’est rapproché de Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga (2007-2015), autrefois fidèle de Joseph Kabila.

Des partisans de Moïse Katumbi lors d’un meeting des partis d’opposition, à Kinshasa, le 9 juin 2018. / JOHN WESSELS / AFP

M. Katumbi, qui n’a pu rentrer dans son pays en raison de poursuites judiciaires, a tenté, en vain, de cornaquer l’opposition. Malgré sa débauche de moyens en lobbying et en communication, il se retrouve relayé au second plan depuis la libération de l’ancien vice-président Jean-Pierre Bemba. Acquitté en appel par la Cour pénale internationale (CPI) de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, cet éternel adversaire de Joseph Kabila a vu sa candidature invalidée. Par dépit, l’équipe de M. Katumbi a intégré dans ses rangs Mbusa Nyamwisi, ancien chef de guerre, un temps ministre de Kabila, qu’il veut aujourd’hui renverser.

Puis Vital Kamerhe, politicien madré, ancien président de l’Assemblée nationale et stratège de la campagne de Kabila en 2006, qui a changé de camp après avoir eu la mauvaise surprise de ne pas avoir été désigné premier ministre en décembre 2016, est entré dans le jeu. S’il fait peut-être encore cavalier seul en tant que candidat validé au scrutin présidentiel, il figure désormais dans le catalogue de l’opposition congolaise et s’est rapproché du poids lourd, M. Bemba, une alliance qui, si elle se confirme, pourrait bien marginaliser encore un peu plus MM. Katumbi et Tshisekedi.

Un éventuel boycott du scrutin

« Personne ne peut se faire élire seul et on est obligés de nous réunir, mais aussi, pour certains, de renoncer à des ambitions », nuance Adolphe Muzito. Cet ancien premier ministre de Kabila (2008-2012) est le dernier arrivé dans les rangs de l’opposition. Lui aussi a vu sa candidature à la présidentielle invalidée. Il est l’un des artisans de la dernière tentative d’union des caciques de l’opposition à Bruxelles, qui se poursuit à Johannesburg. Une union contrainte par les circonstances mais qui masque mal les tensions et les divisions. « La tendance, c’est de penser que dire non à Kabila est suffisant pour être crédible et légitime, explique M. Muzito. Or il faut parvenir à un programme commun et sortir de la logique d’un leadership charismatique pour privilégier les idées. »

En face, le régime de Joseph Kabila mobilise les moyens de l’Etat pour s’assurer la victoire du « dauphin » désigné : Emmanuel Ramazani Shadary. Le nom de cet ancien ministre figure sur la liste des sanctions de l’Union européenne, qui le soupçonne d’être impliqué dans la répression meurtrière de manifestations anti-Kabila. Le chef du gouvernement, Bruno Tshibala, ancien compagnon de lutte d’Etienne Tshisekedi, fait partie de ces transfuges qui jouent la partition d’un régime déterminé à conserver le pouvoir et à faire perdurer le système.

Pour le moment, l’opposition souffre toujours d’un manque de visions et dispose de deux candidats autorisés à se présenter à la présidentielle : Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe. En coulisses, certains discutent d’un éventuel boycott du scrutin, déjà controversé en raison notamment de l’usage de machines à voter électroniques soupçonnées par l’opposition d’être des outils de fraude. D’autres espèrent un report ou veulent encore croire à une « transition sans Kabila ». A trois mois des élections, l’opposition congolaise se cherche toujours. Et se persuade qu’il n’est pas trop tard.