Alors que la 35e édition des Journées européennes du patrimoine, manifestation créée en 1984 et devenue européenne à partir de 1991, à l’initiative du Conseil de l’Europe, a lieu les 15 et 16 septembre, la prise en compte et la protection des composantes significatives de notre héritage bâti font l’objet d’une grande agitation. Chargé d’une mission sur ce thème par le président Macron, Stéphane Bern a récemment menacé de claquer la porte.

Dans le cadre de sa mission, l’animateur de télévision et de radio est notamment chargé de la mise en œuvre du loto du patrimoine. L’objectif est de lever entre 15 et 20 millions d’euros pour venir en aide aux édifices les plus menacés. Stéphane Bern dénonce le manque de soutien au sein du ministère de la culture et de la communication, et fustige surtout des dispositions prévues dans le projet de loi évolution du logement et aménagement numérique (ELAN) sur le point d’être définitivement voté. Il vise en particulier celles destinées à juguler le rôle et la portée de l’action dévolue aux architectes des bâtiments de France (ABF) en faveur du respect patrimonial.

  • 17 000 lieux ouvrent leurs portes pour les Journées européennes du patrimoine

Cette nouvelle édition s’inscrit dans le cadre de l’Année européenne du patrimoine culturel 2018. Partout en France, près de 17 000 monuments ouvrent leurs portes et proposent plus de 26 000 animations. Pour la première fois, la manifestation débute la veille du week-end, vendredi 14 septembre. Sur l’ensemble du territoire national, un accès favorisé est réservé au public scolaire. « Placée sous le thème de l’art du partage, cette édition nous offre l’occasion d’interroger ce qui nous rassemble, ce qui nous relie », explique, dans sa présentation de la manifestation, la ministre de la culture et de la communication, Françoise Nyssen.

Organisées par la Rue de Valois, et placées sous le patronage du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne, les Journées européennes du patrimoine reçoivent le concours des propriétaires publics et privés de monuments historiques. Elles bénéficient de l’implication du Centre des monuments nationaux, du réseau des Villes et pays d’art et d’histoire, de la Fondation du patrimoine et des principales associations de sauvegarde du patrimoine, présentes dès la première édition.

  • La mission Bern pour trouver des financements innovants

Le 16 septembre 2017, le président de la République, Emmanuel Macron, a confié à Stéphane Bern une mission consistant à identifier, avec l’appui des services du ministère de la culture et de la communication et ceux de la Fondation du patrimoine, les biens patrimoniaux en péril. Pour l’animateur de radio et de télévision, il s’agit de proposer des sources de financement innovantes afin de sauvegarder ces biens. La mission Bern, « Patrimoine en péril », s’engage à assurer la protection de tous les types de patrimoines, anciens ou plus contemporains : religieux, mais aussi industriel ou artisanal, agricole ou rural, lié à l’eau, château ou édifice culturel, etc.

S’appuyant sur une action en trois temps (signaler, protéger et développer), la mission a identifié 2 000 sites prioritaires. Selon elle, l’ensemble nécessite un investissement dans des travaux qu’elle estime à 2,5 milliards d’euros. L’opération assurerait le maintien ou la création de quelque 25 000 emplois. Le besoin en financement de ce projet serait de l’ordre de 810 millions d’euros, soit, selon la mission, « l’équivalent de 135 kilomètres d’autoroute ».

A la suite de l’adoption, en décembre 2017, de l’amendement « loto patrimoine » par le Parlement, en première lecture de la discussion sur le projet de loi de finances rectificative pour 2017, la Française des jeux (FDJ), cheville ouvrière de l’opération, a accepté de lancer une offre de jeux « Mission Patrimoine ». 269 projets sur l’ensemble des sites prioritaires sont concernés. Surtout, dix-huit sites de ce sous-ensemble sont visés en toute priorité.

  • Le super-loto du patrimoine : entre 15 et 20 millions de recettes espérées

Portée sur les fonts baptismaux élyséens le 31 mai, l’opération a commencé début septembre selon les deux modalités les plus fréquentes pour ce type de jeu de hasard : le grattage et le tirage. Le jeu de grattage « Mission Patrimoine » est disponible dans les 30 800 points de vente habituels et sur le site fdj.fr pour une durée de deux ans. Il doit permettre aux joueurs de remporter une somme maximale exceptionnelle de 1,5 million d’euros. Il offre, selon ses promoteurs, la meilleure fréquence de gain (soit 1 chance sur 2,92) parmi l’ensemble des jeux de la classe dite « illiko ». Pour chaque ticket vendu au prix de 15 euros, la FDJ reverse 1,52 euro, soit 10 % de la somme, à la Fondation du patrimoine.

Le vendredi 14 septembre, le tirage exceptionnel d’un super-loto « Mission Patrimoine » propose un jackpot d’au minimum 13 millions d’euros, auquel s’ajoutent 50 codes super-loto à 20 000 euros. Pour chaque grille vendue 3 euros, la FDJ reverse 0,75 euro à la Fondation du patrimoine. Sur l’ensemble des deux jeux, la mission Bern compte pouvoir dégager entre 15 et 20 millions de recettes. Une somme qui semble dérisoire en regard du budget annuel de 326 millions d’euros consacré par le ministère à l’entretien et à la restauration des monuments classés.

L’idée d’une loterie n’est pas nouvelle. En 2001, déjà, François de Mézières, alors directeur général de la Fondation du patrimoine, défend l’idée d’un tirage exceptionnel du loto à l’occasion des Journées européennes du patrimoine. La formule existe depuis de nombreuses années, notamment en Italie et en Angleterre. Les bénéfices seraient affectés à la préservation du patrimoine par l’entremise du Centre des monuments nationaux ou de la Fondation du patrimoine, partenaires historiques de ce type d’initiatives. Député entre 2012 et 2017, l’actuel maire de Versailles avait fait adopter un amendement au budget 2015 afin qu’un rapport sur ce tirage exceptionnel soit remis au gouvernement. Ce rapport concluant à un coût trop élevé de l’opération par rapport à son rendement avait été abandonné.

  • Stéphane Bern veut faire amender la loi ELAN

Dans un entretien publié samedi 1er septembre par les journaux du groupe Ebra (Le Progrès, Le Bien Public, Les DNA…), Stéphane Bern a exprimé de sérieuses frustrations : « On est prêt à mobiliser 450 millions d’euros pour rénover le Grand Palais à Paris. Et pendant ce temps, on me laisse me décarcasser pour trouver 20 millions d’euros pour le patrimoine vernaculaire des petits villages ». Il dénonce en outre « certaines personnes dans les ministères » qui « prêtent toute leur énergie pour vous mettre des bâtons dans les roues plutôt que de faire leur travail ».

Mais il est surtout très remonté contre des dispositions du projet de loi ELAN. Particulièrement visées, celles remettant en cause, pour la première fois, le caractère contraignant des avis de l’architecte des bâtiments de France (ABF), qui hérite d’un simple avis consultatif concernant certains bâtiments dégradés. Ceux-là pourraient être détruits et remplacés, sans contrainte patrimoniale, au nom de la priorité accordée au logement neuf. Cette préoccupation est notamment partagée par les associations de défense de l’environnement et du patrimoine et par le Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA).

L’ABF est un rouage essentiel dans le contrôle et la protection des ouvrages inscrits ou classés à l’inventaire des monuments historiques, et plus largement des centres anciens ou des ensembles construits, porteurs de symboles à caractère mémoriel. Il est l’un des derniers remparts à la fièvre foncière dont souffrent, sans ménagement, certaines communes. Adopté en seconde lecture par le Sénat le 25 juillet, le projet de loi doit passer, mercredi 19 septembre, en commission mixte paritaire, avant sa probable adoption définitive.

Sur le Web : journeesdupatrimoine.culture.gouv.fr et www.missionbern.fr