« Si le confort sanitaire des logements s’est largement amélioré ces vingt dernières années, les mauvaises conditions d’habitation persistent avec l’existence d’un « sous-marché » dégradé » (Barre HLM des années 1960 en banlieue parisienne). / Eric Audras / Photononstop / Eric Audras / Photononstop

Tribune. Le drame de l’incendie de l’immeuble d’Aubervilliers, le 19 août, est venu nous rappeler, s’il le fallait encore, que le mal-logement fait courir de graves risques, parfois mortels, pour la sécurité et la santé des occupants.

Depuis cet événement, vous avez, Monsieur le secrétaire d’Etat, rappelé la priorité qui est la vôtre et celle du gouvernement de lutter contre les marchands de sommeils, notamment à travers le renforcement de l’usage de la confiscation des biens immobiliers utilisés par ces derniers, renforcement prévu dans le projet de loi ELAN (évolution du logement, de l’aménagement et du numérique).

Même si la confiscation est déjà prévue dans les textes mais assez peu prononcée, il est évidemment nécessaire de sanctionner plus efficacement ces professionnels de la gestion lucrative de taudis qui organisent trop souvent leur insolvabilité quand ils sont condamnés, ou qui se cachent derrière des montages complexes pour éviter la confiscation.

Taper plus fortement aux portefeuilles

Au-delà du maillon scandaleux des marchands de sommeil, c’est bien toute la chaîne de traitement du parc indigne qui est aujourd’hui à considérer. Si le confort sanitaire des logements s’est largement amélioré ces vingt dernières années, les mauvaises conditions d’habitation persistent avec l’existence d’un « sous-marché » dégradé que le manque de logements sociaux accessibles aux ménages à faibles revenus, l’explosion des loyers dans le parc privé décent ou l’augmentation des expulsions locatives alimentent en permanence.

Aux côtés des formes traditionnelles de l’habitat privé ancien dégradé dans les centres urbains et de l’habitat isolé vétuste des zones rurales, des phénomènes plus récents ont émergé et se sont amplifiés : la dégradation impressionnante de très nombreuses copropriétés issues de l’urbanisation des « trente glorieuses » ; la division pavillonnaire, illustration récente de la pénurie de logement et des effets d’aubaine que celle-ci peut créer pour certains propriétaires peu scrupuleux ; l’occupation de locaux impropres à l’habitation (sous-sols, très petites surfaces, caravanes, campings, mobile-home, etc.) qui se poursuit…

Or, les moyens mobilisés pour la lutte contre l’habitat indigne ne sont plus à la hauteur des enjeux de santé, de sécurité et d’insertion sociale que génèrent ces conditions d’habitat.

Taper plus fortement aux portefeuilles des marchands de sommeil est un bon levier mais il doit s’inscrire dans une feuille de route beaucoup plus ambitieuse pour être en mesure d’éradiquer effectivement l’habitat indigne. Quelle est la réalité de l’ambition quand, sur certains territoires – faute de mobilisation des acteurs concernés dans l’exercice des pouvoirs de police –, des familles vivent pendant des années dans des conditions dangereuses ?

Logements dangereux

De notre expérience, à l’Espace solidarité habitat (lieu d’accès aux droits de la Fondation Abbé-Pierre, à Paris), les occupants vivent en moyenne six ans dans des logements dangereux pour leur sécurité, malgré leur signalement aux services compétents. Six ans sans travaux ni par le propriétaire ni dans le cadre des travaux d’office par la collectivité.

Quelle est donc la réalité de l’ambition lorsque l’on observe que les diagnostics liés au risque d’accessibilité au plomb (qui cause de dommages irréversibles chez les jeunes enfants) ont chuté d’année en année en Ile-de-France (de 1 000 en 2015, on est passé de à 835 en 2016 puis à 660 en 2017 en Ile-de-France) ? Sachant que cette baisse des diagnostics ne permet pas de conclure à l’absence de risque d’intoxication mais plutôt d’une sous-estimation du risque saturnin.

Quelle est donc l’ambition quand on constate, sur certains territoires, qu’aucun arrêté d’insalubrité ou de péril n’a été pris par les services compétents depuis des années malgré la présence de logements indignes ? Ou encore qu’il est très difficile pour les collectivités mobilisées, dans le contexte budgétaire actuel et le recentrage des aides publiques, d’engager les dispositifs adéquats pour pouvoir prendre en compte de nouvelles opérations d’éradication de l’habitat indigne pour lesquelles des difficultés sont d’ores et déjà identifiées ?

Quelle est donc l’ambition quand, malgré l’ampleur du phénomène de l’habitat indigne, l’action des occupants devant la justice est quasi nulle ? Les personnes vivant en habitat indigne ont besoin, à certaines étapes clés dans la revendication de leurs droits d’être accompagnées. Or, elles peinent à trouver des personnes susceptibles de réceptionner leurs doléances.

Moyens de la justice sous-évalués

Quelle est donc l’ambition, enfin, quand on constate que les moyens de la justice sont sous-évalués pour répondre à l’urgence de la situation ? La France dispose de trois procureurs pour mille habitants (contre huit pour mille en Belgique ou cinq pour mille aux Pays-Bas) et chaque procureur reçoit en moyenne 2 620 dossiers par an (contre 775 en Belgique ou 263 aux Pays-Bas).

Obsolescence du bâti, difficultés récurrentes d’identification de ce parc, complexité juridique des copropriétés, pratiques indélicates de certains bailleurs, paupérisation de l’occupation, insuffisance de lieux d’accès aux droits pour accompagner les occupants, manque de moyens humains et financiers pour engager des procédures, manque de portage politique aussi parfois, manque de logements sociaux abordables pour sortir de ce parc, etc., composent un paysage complexe qui nécessite une mobilisation offensive de la part de tous les acteurs au premier rang desquels l’Etat et ses services.

Cette ambition d’éradiquer l’habitat indigne doit par ailleurs s’inscrire dans une politique globale de l’habitat qui se soucie en priorité des plus défavorisés sans tomber dans une politique résiduelle ou palliative, tout en résistant à la tentative court-termiste de réduire toujours plus les moyens financiers et humains des dispositifs sociaux.

Parce que des milliers de personnes souffrent de leurs inacceptables conditions d’habitat, nous vous demandons, Monsieur le secrétaire d’Etat, de conduire sans délais et sans faille cette politique offensive en matière de lutte contre l’habitat indigne ! Pour les milliers de ménages en souffrance, merci.