A 29 ans, Clémentine Beauvais a plusieurs romans à son actif. / AUDREY DUFER POUR SARBACANE

Alors que les amis de Clémentine Beauvais ont plutôt accueilli le Brexit comme une tragédie, la romancière, elle, a eu l’idée d’en faire le sujet d’une comédie romantique pour adolescents. Brexit romance, publié le 22 août chez Sarbacane, raconte comment Justine Dodgson, une étudiante anglaise francophile et un peu soupe au lait, décide de monter une entreprise facilitant les mariages blancs entre Français et Britanniques, pour s’opposer au divorce entre son pays et l’Union européenne. Cette start-up clandestine va embarquer dans son aventure d’amour pragmatique les héros du roman : Marguerite Fiorel, soliste française de 17 ans et Pierre Kamenev, son jeune professeur de chant, communiste et un peu vieille France.

« L’idée m’est venue de blagues faites avec mes amis, souvent des couples binationaux. On se disait que le nombre de mariages allait bizarrement augmenter avec le vote, plaisante l’écrivaine française de 29 ans. J’ai pris cette plaisanterie et je l’ai poussée à son comble. J’aime les idées de romans qui viennent d’un réel outré, qui proposent un petit peu plus que le vrai, le plausible. Comme dans l’opéra, que j’adore, et où tout est fait pour que ce soit plus grand que nature. » En résultent 456 pages de roman choral bien orchestré et empreint de théâtre, de comédie populaire britannique mais aussi de réflexions politiques et sociales. « Le Brexit est un sujet touchy en Grande-Bretagne. Mes amis britanniques ne lisent pas le français ; ceux à qui j’ai parlé du livre ont eu une réaction qui oscille entre le petit rire poli et l’air intrigué », explique-t-elle dans un sourire.

Faire sérieusement de l’humour

Clémentine Beauvais a déjà livré plusieurs romans adolescents salués tels que Les Petites Reines (Sarbacane, 2015), une histoire aujourd’hui adaptée au théâtre de harcèlement scolaire qui finit en road-trip cycliste revanchard. Ou encore Songe à la douceur (Sarbacane, 2016), une relecture moderne et en vers libres d’Eugène Onéguine. Ses précédentes œuvres sont souvent bercées d’une certaine violence sociale, tranchant avec le caractère solaire et malicieux de leur auteure. Mais la romancière a fini par s’atteler à des histoires plus optimistes et amusantes :

« Avec “La Pouilleuse” et “Comme des images”, je pensais qu’il fallait écrire des romans sérieux pour être prise au sérieux. “Les Petites Reines” était mon premier roman humoristique. Jamais je ne m’étais vue comme auteure de romans “feel good”. Désormais, je le revendique totalement. »

Pourtant, sous ses atours farfelus, Brexit romance est sans doute l’un de ses ouvrages les plus personnels et délicats. D’abord parce que cette Parisienne de naissance se considère « franglaise ». La romancière vit depuis douze ans en Angleterre, où elle est enseignante chercheuse en sciences de l’éducation à l’université d’York, et s’apprête à demander la nationalité britannique. « Une décision qui n’a pas été précipitée par le Brexit, précise la jeune femme. Au contraire, je me suis vraiment demandé si, après ce vote, je voulais vraiment devenir citoyenne d’un pays qui avait pris cette décision. Mais je veux cette nationalité notamment pour pouvoir voter. »

Pour ce qui est de la délicatesse, le lecteur la retrouvera dans la façon de faire dialoguer la vision libérale britannique avec le républicanisme français, comme dans le travail des rebondissements de l’intrigue. « Mes précédents livres étaient plus à fleur de peau, ils étaient très proches de mon ressenti vis-à-vis de la haute société parisienne », explique Clémentine Beauvais, évoquant son année d’hypokhâgne et sa « colère face au broyage psychologique et à l’esprit de compétition délirant cultivé entre les étudiants ». A l’instar de La Pouilleuse (Sarbacane, 2012), inspiré de l’affaire du gang des barbares, mais dans un lycée de l’élite parisienne.

Partie de croquet avec europhobes

Dans Brexit romance, l’écrivaine française exprime à voix haute ses remarques personnelles depuis son installation outre-Manche. Par exemple, son premier choc culturel, « la bienveillance des Britanniques, leur suspension du jugement ». Ou à l’inverse, « le manque de spontanéité britannique qui semble le pendant du côté impulsif français ».

Des traits de caractère qui infusent des dialogues savoureux et des situations cocasses ou enflammées autour du féminisme, de la laïcité, du racisme, des privilèges. « Je trouvais rafraîchissant de montrer une autre culture, en révélant les points aveugles de la tienne », défend-elle.

Un peu comme si, au fil des actes du roman, le docteur Clémentine se disputait avec Mrs Beauvais. Il y a, par exemple, cette scène où Marguerite, naïve héroïne fascinée par l’aristocratie anglaise, se retrouve coincée dans une partie de croquet lors d’un pique-nique organisé par des membres du UKIP – le parti europhobe. Ou celle confrontant Pierre, lors d’une soirée vin-tricot-club de lecture, aux lacunes de ses connaissances en féminisme et antiracisme. « C’est une scène un peu osée parce que le débat est important, mais la situation comique ; j’y suis un peu moqueuse », confesse Clémentine Beauvais.

« Vous savez, il y a ces personnes qui sont des raisonneurs, souvent de gauche, hyperconnectés et qui sont toujours en avance sur le dernier combat, la polémique en date. Elles ont fondamentalement raison, mais arrivent à vous faire sentir bête ou à court d’arguments parce que vous n’aviez pas entendu parler de ce combat. »

Moqueur, oui. Tendre, certainement. Avec une écriture maîtrisée, allant et venant entre la rhétorique des réseaux sociaux et un langage châtié. La romancière a aussi pris le risque d’écrire un livre éphémère, périssable pour mieux parler de son temps. Et, à une époque où tout va vite, à l’heure des start-up, de Tinder et de WhatsApp, elle réussit à livrer une déclaration aigre-douce sur la jeunesse européenne, l’engagement politique… et même l’amour.

Brexit romance, de Clémentine Beauvais, éd. Sarbacane, 456 pages, 17 euros.