Idlib, au nord de la Syrie, le 8 mars 2015. / Ammar Abdullah / REUTERS

Alors que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, se prépare à rencontrer son homologue russe, Vladimir Poutine, lundi 17 septembre à Sotchi, sur les bords de la mer Noire, la Turquie n’a de cesse d’accroître sa présence dans la région d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie. Des renforts et du matériel y ont été acheminés en vue de résister à l’offensive annoncée du régime syrien, avide de reconquérir la dernière poche tenue par les rebelles. Les troupes turques massées depuis quelques jours dans les provinces frontalières turques du Hatay et de Gaziantep ont été inspectées vendredi par le chef d’état-major, le général Yasar Güler.

Par ailleurs, l’agence Reuters a indiqué que des armes avaient été fournies récemment aux rebelles syriens, notamment des lance-roquettes multiples GRAD, de fabrication russe. La Turquie a promis aux rebelles d’Idlib « un soutien militaire total en vue d’une bataille qui va durer », d’après un commandant de l’Armée syrienne libre cité par l’agence. Ankara s’inquiète du sort de ses protégés, les rebelles dits « modérés » implantés dans le sud de la province.

Zones de désescalade

Les renforts envoyés à Idlib sont destinés aussi à préserver les douze postes d’observation turcs établis à la faveur d’un accord passé, en mai 2017, avec l’Iran et la Russie dans le cadre du processus d’Astana. Ce dernier vise à soumettre la rébellion anti-Assad en la contenant dans des zones de « désescalade » qui sont ensuite bombardées et forcées à la reddition. Idlib est la dernière zone de désescalade, les trois autres ont été soumises par le régime syrien avec l’aide de Moscou et de Téhéran.

La Turquie, qui s’était jusqu’ici prêtée au jeu des zones de désescalade en favorisant la reddition des rebelles, n’entend pas lâcher Idlib. Elle s’inquiète des conséquences de son écrasement. Une offensive d’ampleur sur la province syrienne, limitrophe de la Turquie et où vivent plus de trois millions de personnes, provoquerait immanquablement un afflux massif de réfugiés. Les services turcs ont estimé récemment que 250 000 personnes pourraient se masser à la frontière si Idlib était attaquée, et ils recommandent leur maintien « dans des zones sécurisées sur le territoire syrien ». Voilà pourquoi la Turquie, qui héberge déjà plus de 3,5 millions de réfugiés syriens, veut à tout prix maintenir les territoires qu’elle contrôle au nord de la Syrie.

Si Idlib tombe aux mains du régime, qu’adviendra-t-il de la zone d’influence turque dans le nord de la Syrie ? Conquis avec l’aval de Moscou, les territoires occupés par l’armée turque en Syrie, soit une zone de 90 kilomètres de long entre les villes d’Azaz et de Djarabulus, gagnée en 2016, ainsi que l’enclave kurde d’Afrin, conquise en 2018, sont menacés de reconquête par le régime syrien. Or, selon les projets turcs, cette zone devrait, à terme, servir au retour d’une bonne partie des réfugiés syriens installés en Turquie, dont la présence est de moins en moins supportée par la population locale.

Aucun égard pour les civils

Des divergences sont apparues entre les trois pays maîtres du processus d’Astana lors du sommet qui s’est tenu le 7 septembre à Téhéran entre les présidents russe, Vladimir Poutine, iranien, Hassan Rohani, et turc, Recep Tayyip Erdogan. La Turquie s’est alors soudain rendu compte que ni la Russie ni l’Iran n’avaient de solution politique en vue pour la Syrie, si ce n’est le maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad.

A Téhéran, MM. Poutine et Rohani, les principaux soutiens militaires du régime syrien, se sont dits favorables à l’écrasement militaire de la dernière poche rebelle, sans égard aucun pour les civils « utilisés par les terroristes comme des boucliers humains ». M. Erdogan, qui tentait d’obtenir un cessez-le-feu, a été éconduit. « Aucun groupe rebelle n’est représenté ici, je ne vois pas comment nous pourrions négocier un cessez-le-feu sans leur présence », lui avait alors répliqué Vladimir Poutine.

L’absence d’accord avec la Turquie semble avoir repoussé, au moins à court terme, le lancement d’une offensive d’envergure à Idlib. Ces derniers jours, les bombardements de l’aviation russe sur la province ont diminué en intensité.

Attaques de drones

M. Erdogan a bon espoir de parvenir à un arrangement avec Moscou en vue d’une opération militaire limitée à des frappes sur les groupes djihadistes tel Hayat Tahrir Al-Cham, composé notamment de l’ex-branche d’Al-Qaida en Syrie, dont les autorités turques viennent tout juste de reconnaître le caractère « terroriste ».

Avant tout, la Russie veut faire cesser les attaques de drones lancées depuis Idlib contre sa base de Hmeimim dans la région voisine de Lattaquié. Un plan concocté à Ankara prévoit la sécurisation de cette base, dont les abords seraient renforcés en mines.

Soucieux de ménager l’allié turc, la pièce maîtresse du front antiaméricain qu’il veut créer au Proche-Orient, Vladimir Poutine se montre disposé au compromis tout en maintenant la pression sur son homologue turc afin qu’il contraigne les derniers rebelles à se soumettre à Bachar Al-Assad. Si la Turquie échoue à produire une opposition prête aux concessions, une escalade majeure sera alors inévitable à Idlib.