« Un pour tous et tous pour un » pour les Bleus. / PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Le tennis est un sport individuel. Depuis que le major anglais Walter Clapton Wingfield a, un jour de février 1874, déposé les règles du sphairistike, qui allait rapidement devenir le sport que l’on connaît, c’est une antienne entendue. A voir la joie collective de l’équipe de France tout au long du week-end l’ayant vu battre (3-0) l’Espagne et se hisser en finale de Coupe Davis, la question se pose : les Bleus ne s’épanouiraient-ils pas plus dans un cadre collectif ?

Depuis que Yannick Noah est sorti – à nouveau – de sa retraite de capitaine pour reprendre l’équipe de France voici trois ans, un refrain revient, dans sa bouche ou celle de ses joueurs : « le groupe vit bien. » Le genre d’expression consacrée pour laquelle nombre de sportifs ont été cloués au pilori.

Mais à les voir danser, samedi 15 septembre, sur le court du stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d’Ascq (Nord) après leur qualification pour la finale de Coupe Davis aux dépens de l’Espagne, force est de constater : les Français du tennis sont meilleurs ensemble.

A des années-lumière de la République tchèque, qui s’est imposée en 2012 en voyant tous ses points apportés par le duo Berdych-Stepanek, la France joue et gagne en groupe. Pour le millésime 2018 de la Coupe Davis, Yannick Noah a fait appel à sept joueurs différents depuis l’entame de la compétition : Adrian Mannarino, Richard Gasquet, Pierre-Hugues Herbert, Nicolas Mahut, Lucas Pouille, Jérémy Chardy, Benoît Paire et Julien Benneteau. Une liste dont sont absents les habitués Jo-Wilfried Tsonga et Gaël Monfils.

A chaque fois, l’équipe de France a poursuivi sa route – mettant aussi à profit les absences de certains des meilleurs joueurs adverses. « Certains auraient aimé être à notre place et jouer l’Espagne sans Nadal, a tancé Noah vendredi. Sauf que c’est nous. Sauf qu’on a gagné des matchs avant. » Et gagné ensemble.

« Transcendés » par le groupe

A côté de son tennis depuis plusieurs mois, Lucas Pouille s’est adossé au groupe pour prendre le dessus sur Roberto Bautista-Agut en cinq sets disputés. « Il n’y a pas de hasard, a insisté le Nordiste, le fait d’être dans un groupe, ça me transcende. » Même tonalité chez Benoît Paire, chien fou assagi par la vie en collectivité. Hors de question de « [s]’énerver, ou de péter les plombs sur un match de Coupe Davis », quand ses coéquipiers, qui l’ont accueilli après un long passage au purgatoire, comptent sur lui.

Car pour les joueurs de tennis, collectif est un mot étrange. Pour parvenir au sommet – et y rester –, il ne faut penser qu’à soi. Ce qu’Henri Leconte synthétisait – égratignant au passage la culture française – en mai, dans un entretien au Monde : « pour gagner, il faut être un leader né, vouloir être le numéro un. Quand tu vois un adversaire, tu veux lui casser la gueule. »

Julien Benneteau l’a rappelé samedi après son double victorieux : une carrière dans le tennis pro n’a rien à voir avec ce que vivent les Bleus. « Pendant une semaine, on est aux petits soins pour vous. On vit en groupe, avec ses potes, avec les kinés, le docteur, le capitaine. Les entraîneurs sont aux petits oignons pour vous, et vous jouez un match ou deux matchs le week-end. » Et le Bressan d’embrayer, pour justifier sa retraite : « une carrière de joueur de tennis, ce n’est pas ça. C’est d’être loin de la maison du 1er janvier au 15 novembre. »

L’inspiration des Bleus du foot

En bleu, les Français retrouvent – ou découvrent, comme Paire cette semaine – un rythme évoquant le quotidien des équipes de sport collectif. Et s’y épanouissent. Les hommes de Noah ne font pas mystère de l’inspiration qu’ils puisent dans l’aventure des Bleus au Mondial.

« Ils ont montré une joie de vivre, une amitié entre eux, des sourires sur les réseaux. Et ils sont champions du monde de foot ! On a envie de faire comme eux », sourit Noah. Dans les vestiaires après la victoire, les pas de danse des Français rappelaient ceux de leurs homologues du football – avec Pouille au lieu de Kimpembe comme homme enceinte.

Si les Français ont la Coupe Davis dans le sang – d’autant plus amplifié par la disparition prochaine de la compétition –, ils insistent sur « l’aventure collective ». « Quelle que soit l’équipe alignée, on a un groupe, relate Noah, rappelant que des joueurs absents – Tsonga et Herbert en demi-finales – viennent soutenir leurs potes. »

L’an passé, la finale victorieuse a permis aux Bleus de défaire leurs épaules du pesant surnom de « nouveaux Mousquetaires ». « On n’a jamais demandé à être appelés [ainsi], avait martelé Richard Gasquet après la victoire. Je trouve ça grotesque, ça fait dix ans qu’on entend ça. »

Il n’empêche, armés de raquettes en guise de rapières, les Français ont fait leur la maxime des héros de Dumas. « Un pour tous, et tous pour un ». Et l’espace d’une finale, encore, le tennis ne sera plus, pour eux, un sport individuel.