« La situation est pire qu’entre 2011 et 2013, lorsque les sanctions internationales avaient fini par étrangler l’économie du pays », déplore Mahdi, propriétaire d’une usine de détergent pour voitures dans la banlieue de Téhéran, qui préfère rester anonyme. « Depuis que le rial chute, nous avons été obligés de diminuer notre production des deux tiers », explique-t-il. Cet Iranien de 40 ans a déjà dû remercier 28 de ses 40 employés.

Déjà en mars dernier, il avait vu ses employés afghans – nombreux en Iran – repartir vers leur pays natal ou vers la Turquie, car, pour eux, « cela n’avait plus de sens d’être payés en rials ». L’incertitude est telle que Mahdi se demande s’il ne devra pas mettre la clé sous la porte d’ici à la fin de l’année iranienne, en mars 2019.

Depuis l’annonce, le 8 mai dernier, du retrait des Etats-Unis de l’accord nucléaire, signé en 2015 entre l’Iran et les grandes puissances internationales, et le rétablissement unilatéral de sévères sanctions contre Téhéran, les entreprises européennes quittent le pays et l’économie iranienne accuse le coup.

Le rial déprécié de 72 % par rapport au dollar

La fin des liaisons d’Air France vers Téhéran, ce 18 septembre, ajoute la compagnie aérienne française à la liste des groupes occidentaux (Total, Daimler, British Airways, Peugeot, Renault…) qui, trop exposés aux Etats-Unis, ont préféré éviter les foudres de Washington.

Le 4 novembre entrera en vigueur le second volet des sanctions américaines visant la vente du pétrole iranien. Le premier volet comprend, depuis le 6 août, des blocages sur les transactions financières et les importations de matières premières, ainsi que des mesures pénalisantes sur les achats dans le secteur automobile et l’aviation commerciale.

Les entreprises occidentales quittent le pays, à l’image d’Air France, qui interrompt ce 18 septembre ses liaisons vers Téhéran.

Malgré les déclarations du président iranien, Hassan Rohani, assurant que la crise sur le marché de devises est résolue, la monnaie iranienne, le rial, ne cesse de dégringoler face au dollar. Ce 16 septembre, le billet vert s’achetait à 143 000 rials contre 40 000 en février, soit une dépréciation de 72 %.

Bien que les bureaux de change aient reçu, début août et après quatre mois d’arrêt, la permission de reprendre leurs activités, ils refusent encore aujourd’hui de vendre dollars et euros, obligeant les Iraniens à aller se fournir auprès des marchands de rue illégaux qui demandent beaucoup plus que le taux pratiqué sur le marché officiel.

Pour enrayer la chute du rial, le président Rohani a d’abord imposé un taux fixe de 1 dollar pour 42 000 rials iraniens, alors que le billet vert s’achetait et se vendait beaucoup plus cher sur le marché noir. Ainsi, pendant quatre mois, seuls certains importateurs de produits de première nécessité pouvaient bénéficier de ces dollars « gouvernementaux ». Or cette mesure, annulée début août, a donné lieu à des cas d’abus et de corruption, attisant la colère de la population.

L’instabilité sur le marché des devises, conjuguée aux sanctions américaines, pénalise des pans entiers de l’économie. D’après les sources officielles, la production d’automobiles a diminué de 38 % entre le 23 juillet et le 22 août. Le secteur de la restauration connaît une baisse de 40 %. Et le pouvoir d’achat des ouvriers aurait baissé de 70 %, affirment certains économistes.

Une inflation de 18 %

Selon les chiffres de la Banque centrale iranienne, l’inflation a atteint 18 % en août en rythme annuel, contre 8 % il y a un an. Tous les prix ont augmenté, notamment ceux des produits alimentaires.

« A cause de l’envolée du prix des produits que nous utilisons, nous avons été obligés d’augmenter de 44 % nos tarifs depuis le mois de mars, explique Pedram qui produit des salades en barquette, à Téhéran. Dans ce contexte, les gens mangent beaucoup moins dehors. Disons que nous ne faisons plus de bénéfices. » Et si auparavant cet Iranien de 37 ans envisageait de chercher des financeurs européens afin de développer son business, il a désormais laissé tomber « cette illusion ». « Aujourd’hui, je sais que je mettrai les clés sous la porte si le dollar atteint les 200 000 rials », glisse-t-il.

Face à cette situation, Téhéran a, fin août, dénoncé « l’étranglement » de son économie par Washington devant la Cour internationale de justice (CIJ), où ce pays de 80 millions d’habitants a engagé une procédure visant à enjoindre aux Etats-Unis de suspendre leur embargo.