Préparatifs à Pékin en août 2018, avant le Forum Chine-Afrique des 3 et 4 septembre. / China Stringer Network / REUTERS

Chronique. « Et nous ? » semble dire une grande partie de l’opinion publique chinoise qui critique de plus en plus ouvertement les largesses de Pékin. Lors du dernier sommet Chine-Afrique, 60 milliards de dollars (environ 52 milliards d’euros) ont été mis sur la table, soit autant qu’il y a trois ans. « Que ferions-nous avec 20 milliards de dollars de plus chaque année ? » réagissent de nombreux internautes qui ne comprennent pas pourquoi leur Etat est si généreux avec l’Afrique et si pingre avec ses propres citoyens.

Car l’empire du Milieu est loin d’être aussi riche que ses sommets peuvent le faire croire. La deuxième économie mondiale est l’une des plus inégalitaires au monde : le 1 % le plus fortuné de la population possède un peu moins de la moitié (43,8 %) de la richesse totale du pays.

Un demi-milliard de Chinois résident dans les campagnes avec un accès encore difficile à l’eau courante, à l’électricité et aux services publics, et 30 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté selon les statistiques officielles de 2017. Chaque rentrée scolaire apporte ainsi son lot de misère sociale, avec des écoliers parcourant des dizaines de kilomètres pour se rendre dans des établissements bondés. Une rentrée bousculée par la pompe de ce sommet Chine-Afrique, début septembre.

Voix africaines à l’ONU

Soixante milliards de dollars, quelle qu’en soit la répartition, représentent une somme considérable, presque équivalente au montant cumulé des PIB du Tibet et du Qinghai, les deux provinces les plus pauvres du pays, ou à une fois et demie le budget de l’enseignement secondaire. Ce genre de critiques est largement véhiculé par certains économistes.

La Chine aime rappeler qu’elle est toujours un pays en développement alors à quoi bon consacrer autant d’argent au continent africain ? La réponse est évidente pour qui s’intéresse à la politique d’influence de Pékin sur la scène internationale ou suit les flux commerciaux entre l’usine du monde et le reste de la planète. La Chine a besoin de l’Afrique pour y puiser ses matières premières et écouler sa production. Elle a besoin des voix africaines à l’ONU et espère ainsi contrecarrer les Etats-Unis ou l’Europe sur certains dossiers politiquement sensibles.

Mais cela, son opinion publique n’en a cure, et les critiques sont si virulentes sur les réseaux sociaux que les autorités ont fini par censurer la plupart de ces discussions, allant jusqu’à punir les universitaires et les chercheurs qui viendraient remettre en cause la doctrine officielle.

Ces critiques, pourtant, le gouvernement pourrait facilement y répondre. Car elles omettent souvent un certain nombre de chiffres et d’évidences : une partie des 60 milliards de dollars sont des prêts, lesquels devront donc être remboursés, et un quart du chèque seulement peut être assimilé à de l’aide au développement. Pékin est conscient de ses responsabilités, et prend sa place sur l’échiquier mondial… Mais qu’importe. L’opinion publique dans sa grande majorité n’a que faire des visées géostratégiques de la Chinafrique ou des « nouvelles routes de la soie ».

La préoccupation de la plupart des Chinois, classe moyenne comprise, est le niveau de vie et l’accès à de bonnes écoles ou au logement, de plus en plus l’apanage de l’élite. Pékin devrait en tenir compte. Impossible de construire une Chinafrique solide sans le soutien de sa population ni, surtout, sans expliquer à ses citoyens, aux critiques occidentaux et aux Africains eux-mêmes les visées de cette politique.

« Brillants casques bleus chinois »

Les Chinois ne sont pas habitués à voir ainsi leur pays s’engager hors de ses frontières. Les premiers décès de casques bleus chinois au Soudan et au Mali avaient déjà en 2016 provoqué une vague d’indignation au sein d’une population plutôt tournée vers ses intérêts immédiats. Les autorités n’ont jamais véritablement expliqué à la population les raisons de leur implication.

Les médias officiels ont beau vanter le travail des « brillants casques bleus chinois », l’opinion publique ne retiendra que les millions de dollars distribués aux opérations de maintien de la paix et à l’Union africaine et, surtout, les victimes chinoises dans ces lointains combats.

L’approfondissement de la Chinafrique pourrait être – devrait être, même – l’occasion d’une explication à livre ouvert. Au lieu de cela, les autorités semblent se refermer dans une volonté farouche d’étouffer la moindre critique.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.