Lara Croft, l’archéologue qui aime moins découvrir que détruire. / SQUARE ENIX

Shadow of the Tomb Raider, disponible depuis vendredi 14 septembre sur PC, PlayStation 4 et Xbox One, est le douzième jeu de la série. Mais il marque surtout la fin d’un cycle entamé en 2013, quand la célèbre aventurière Lara Croft a pris un virage plus réaliste, plus sombre, plus adulte. L’héroïne telle qu’on l’avait connue jusqu’ici mourait alors pour mieux renaître, abandonnant au passage les vieilles recettes qui l’avaient rendue célèbre en 1996 – et ringarde quelque part autour de 1999.

Terminé le jeu de plate-forme un peu abscons et totalement injuste : la Lara Croft nouvelle se réinventait en « action heroine » survivaliste. De petite britannique perdue sur une île hostile, elle se muait progressivement en machine à tuer, Predator à l’accent aristocratique capable, pêle-mêle, de dépecer les fauves plus féroces de la région comme d’abattre, d’une flèche ou d’un coup de piolet bien placé, un soldat surentraîné. Une relecture sombre, dans l’air du temps – on pense au traitement que Christopher Nolan a imposé à Batman au cinéma.

Surtout, le Tomb Raider cuvée 2013 était un jeu qui avait presque quelque chose à dire – et c’est rare, dans une industrie où les budgets sont aussi énormes que les prises de risque sont rares. Une métaphore à filer, en tout cas : celle d’un personnage, et donc d’une série, figure biblique crucifiée – pour mieux ressusciter.

Peu avare en gros plans sur les plaies, les membres brisés et les chairs tranchées des vilains, Tomb Raider n’avait pas peur d’infliger à son personnage le même traitement. Au moindre faux pas, celle-ci se voyait frappée de blessures toutes plus terribles les unes que les autres, comme autant de stigmates, comme s’il lui fallait expier, dans la douleur, les péchés de la Lara d’avant, aussi lisse que les films avec Angelina Jolie.

Un chemin de croix qui culminait dans une scène culte à plus d’un titre, où l’on retrouvait l’exploratrice plongée dans un bain de sang, baptême païen mais rédempteur, dont elle sortait absoute de ses pubs pour la Seat Ibiza.

Depuis trois épisodes, « Tomb Raider » raconte comment de proie, Lara Croft est devenue la plus redoutable des chasseuses. / SQUARE ENIX

En mode Rambo

Dans Shadow of the Tomb Raider comme dans Rise of the Tomb Raider, sorti entre-temps, on retrouve Lara Croft lancée sur les traces d’une organisation criminelle aux allures de secte (ou l’inverse), les Trinitaires. Eux-mêmes semblent cette fois bien décidés à mettre la main sur des artefacts un peu incas, un peu mayas, définitivement précolombiens en tout cas, qui auraient le pouvoir, ce n’est pas rien, de provoquer la destruction du monde.

L’occasion de creuser le sillon gore tracé par les épisodes précédents, à grand renfort de rituels sanglants et autres sacrifices salissants.

Les accents religieux, prophétiques, n’ont d’ailleurs jamais été plus littéraux que dans ce Shadow of the Tomb Raider. La reine du petit village de Paititi, sorte d’El Dorado où tout le monde serait mystérieusement anglophone, nous met d’ailleurs rapidement au jus : cette fois, ce n’est plus à la mort et à la résurrection d’une icône qu’on va assister, mais au sacrifice d’un dieu.

A cette nuance près, il y a peu de changement à attendre de cette ultime mission de l’exploratrice britannique. On y retrouve ce qui fait l’ADN de la série, séquences de varappe comprises, que ce soit le long de falaises escarpées ou dans des temples souterrains.

Celles-ci sont toujours ponctuées de passages de bastons musclées, et de moments de planque en mode Rambo, le visage barbouillé de boue, le couteau profondément planté, par-derrière, dans la carotide honnie.

« Shadow of the Tomb Raider » fait mine de vouloir explorer la psyché de Lara Croft, sans que ce ne soit crédible un instant. / SQUARE ENIX

S’écarter du chemin

Par ailleurs, comme les épisodes précédents, Shadow of the Tomb Raider invite à s’écarter de la route toute tracée pour tenter de dénicher de petits temples charmants et atypiques, prétextes à autant de défis optionnels. On y trouvera des tenues alternatives, des pièces d’équipement bonus, ou juste de bonnes vieilles acrobaties à l’ancienne.

Il faut saluer au passage comment ces temples sont intégrés au monde. On passe sans s’en rendre compte de l’aventure principale à des quêtes optionnelles sans que celles-ci n’aient l’air de petits niveaux indépendants. L’inextricable jungle péruvienne, ainsi que ses sommets escarpés, semblent avoir été inventés pour ça : bourrés de coins et de recoins, de trucs planqués et de secrets à découvrir, ils restent du début à la fin de l’aventure « organiques », sans que le découpage ne fasse jamais trop artificiel, trop « jeu vidéo ».

Mais aujourd’hui comme il y a cinq ans, cette profusion de temples à visiter, d’objets à collectionner, ainsi que de compétences à débloquer, pose une question. Est-ce vraiment pertinent de tenter de raconter une histoire de fuite en avant, de course contre le temps, contre les méchants, contre cette éclipse qui s’amorce et la fin du monde qui s’annonce, tout en encourageant le joueur à flâner, à collectionner et à revenir en arrière ?

Pourquoi s’encombrer de systèmes de points d’expérience et de compétences systématiquement inutiles, alors que les dernières aventures de Lara Croft sont censées être celles d’une femme revenue à l’état quasi sauvage, un animal, une prédatrice débarrassée du superflu – et de ses états d’âme ?

Ça a toujours été le souci de cette nouvelle trilogie, qui a du mal à faire se rencontrer ce qu’il raconte et la façon dont il le fait. Et si le premier épisode avait au moins l’audace de réinventer Lara en figure christique, ce troisième épisode, lui, ne va même plus au bout de cette idée.

L’heure des vacances – ou de la retraite – pour Lara Croft ? / SQUARE ENIX

Pas les épaules ?

Dommage, il y avait là largement matière. Car, sans trop en dire, on devine assez vite : le dieu qui va devoir se sacrifier est en réalité une déesse.

Mais plutôt que d’explorer la dimension divine de son héroïne, les développeurs n’en font rien, comme encombrés par cette trop bonne idée. Comme conscients que Lara Croft, la Lara Croft ressuscitée en 2013, a échoué à achever sa mue, ou plutôt sa transcendance, et n’a pas les épaules pour assumer ce rôle.

A défaut d’avoir quelque chose à comprendre, ne reste alors plus qu’à jouer. A refaire, pour la troisième fois, ce que les développeurs de la série Tomb Raider nous proposent en boucle depuis 2013.

Est-ce que c’est mauvais ? Certainement pas. C’est même de la très belle ouvrage. Cinq ans après, il reste toujours aussi plaisant de se planquer dans les fourrés, de s’accrocher au rebord de précipices sans fond, de se rêver redoutable chasseuse prédatrice.

Mais reste que, dans un panthéon du jeu vidéo désormais peuplé par des dieux nommés Uncharted 4, Witcher III ou God of War, Lara Croft ressemble désormais à un esprit des temps anciens, pour ne pas dire à une antiquité.

En bref

On a aimé  :

  • La chasse, la planque, l’escalade, toujours aussi réussis
  • Une expérience resserrée qui se boucle, à moins de se disperser, en moins de dix heures
  • Les grottes, temples et autres intérieurs très beaux, très organiques

On n’a pas aimé  :

  • Les extérieurs qui commencent, graphiquement, à vieillir un peu
  • Toujours cette curieuse dichotomie entre un scénario haletant et un univers qui invite à flâner
  • Le jeu vidéo a beaucoup évolué en cinq ans. Pas Tomb Raider.

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous avez envie de refaire la même chose que dans les épisodes précédents… mais dans la jungle
  • Vous aimez collectionner les costumes alternatifs (celui qui remplace le modèle 3D de Lara Croft par celui des épisodes des années 1990 vaut le coup à lui seul)

Ce n’est pas pour vous si…

  • Vous avez vu l’ouverture de Witcher III, la démesure de God of War et la mise en scène d’Uncharted 4 et vous ne pouvez plus revenir en arrière

La note de Pixels

Tomb Raider 6 / 12