Il y a parfois des enquêtes qui, lorsqu’on est policier, vous font entrer d’un pas serein à la barre des témoins. Celle qui a conduit dix personnes devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône pour répondre de l’assassinat d’Hélène Pastor et de son chauffeur Mohamed Darwich en est une. Même quand l’avocat du principal accusé, Wojciech Janowski, présenté par l’accusation comme le commanditaire du double meurtre, s’appelle Eric Dupond-Moretti.

Même s’il est assis à deux pas de vous et qu’il accueille d’un regard d’ogre affamé votre entrée dans le prétoire. Même s’il sourit avec une ostensible ironie quand vous jurez de dire « la vérité, toute la vérité », qu’il grommelle et secoue la tête quand vous répondez aux questions du président, et attend son tour d’interrogatoire en consultant son code de procédure pénale et ses procès-verbaux surlignés. Et même si, sur son pupitre, il a posé un livre d’enquête peu flatteur sur les méthodes policières, dont la couverture accusatrice est placée de telle sorte qu’elle ne peut vous échapper.

Philippe Frizon, le directeur d’enquête, est le premier à déposer. Devant la cour et les jurés, il raconte combien l’amateurisme des exécutants du double assassinat a facilité leur travail. « Arriver sur le lieu du crime en taxi, déjà, c’est inhabituel. Commettre un crime avec un fusil de chasse chargé de petits plombs, c’est aussi inhabituel », dit-il. Le commissaire Frizon égrène ensuite la longue série des maladresses qui, en une dizaine de jours, a permis aux policiers de connaître l’identité du guetteur et du tireur, aperçus sur les images des caméras de vidéosurveillance installées à la sortie de l’hôpital de Nice où Hélène Pastor et son chauffeur ont été tués : des kleenex usagés et surtout un flacon de gel douche abandonné dans la chambre d’hôtel louée par les deux hommes juste avant le guet-apens ; des téléphones occultes (TOC) utilisés pour réserver le taxi, dont les numéros, une fois repérés, permettent aux policiers de suivre les relais qu’ils ont activés avant et après la commission du crime et qui les conduisent jusqu’à Marseille où ils ont été achetés le matin même.

Une enquête facilitée par les maladresses et les aveux

L’erreur du « guetteur » qui se débarrasse de sa carte SIM mais garde le même appareil pour communiquer avec une nouvelle carte, ce qui, d’une part, le laisse « traçable » aux yeux des policiers et leur ouvre, d’autre part, toute une liste d’interlocuteurs jusque-là inconnus, parmi lesquels tous ceux qui sont accusés de complicité dans le double assassinat.

À la façon dont il le raconte, on comprend que le commissaire est encore ébahi de tant de maladresses. « La règle avec les TOC, dit-il comme s’il énonçait une évidence, c’est qu’une fois qu’on les a utilisés, on s’en débarrasse ! » Les regards de la cour et des jurés glissent de temps à autre vers le box où les cinq accusés, qui comparaissent détenus, encourent la réclusion criminelle à perpétuité. À quoi pensent-ils, à cet instant, en entendant le commissaire détailler les appels qu’ils croyaient protégés, les rendez-vous qu’ils pensaient secrets et qui les accablent ? Leurs regards sont absents.

La suite de l’enquête, poursuit le commissaire Frizon, sera encore facilitée par les aveux du guetteur, Al Haïr Hamadi et surtout ceux du coach sportif de Wojciech Janowski, Pascal Dauriac, désignant son employeur, le gendre d’Hélène Pastor, comme le commanditaire du double assassinat. Viennent ensuite les déclarations du gendre lui-même, reconnaissant en garde à vue son rôle de commanditaire avant de rétracter ses aveux devant le juge d’instruction. À l’ouverture du procès, lundi 17 septembre, Wojciech Janowski a d’ailleurs affirmé avec force qu’il était « innocent » de tout ce dont on l’accuse.

La fe de groupe inébranlable

Telle est la ligne de défense qu’il a demandé à son avocat de soutenir. Il faut donc reprendre les choses par le début et mettre en cause cette garde à vue au cours de laquelle Wojciech Janowski déclare qu’il a « réfléchi », qu’il « souhaite dire la vérité » et répond « oui, j’ai commandité ce meurtre. » Me Dupond-Moretti s’échauffe avec le commissaire Frizon, auquel l’oppose une vieille inimitié. Mais celui-ci esquive les coups, en renvoyant les questions de l’avocat sur celle qui va lui succéder à la barre, la cheffe de groupe de la brigade criminelle Catherine Messineo, qui a mené la garde à vue.

La voilà. À quoi cela tient-il ? À cette façon déterminée qu’elle a de se tenir à la barre, à la précision et à l’adresse de son exposé, à l’autorité avec laquelle elle répond aux questions ? On devine déjà qu’elle fera un adversaire coriace à la défense de Wojciech Janowski. Me Dupond-Moretti se lance, dénonce les conditions de la garde à vue qui se tient au début sans avocat. Elle lui cite les procès-verbaux où Wojciech Janowski décline, à chaque fois, la proposition des policiers de lui en appeler un. La rencontre avec sa compagne, dans les locaux de la police, où il lui renouvelle en larmes ses aveux ? C’est à la demande de Wojciech Janowski que cette rencontre a été organisée et qu’elle y a consenti, répond-elle. Le ton de ses questions de plus en plus à charge pendant la garde à vue ? « Je suis transparente. Je pose parfois des questions très directes. Et elles sont notées ainsi sur les procès-verbaux. Mais lisez donc aussi les réponses… », réplique-t-elle. Elle en livre quelques-unes au passage, ennuyeuses pour la défense du gendre d’Hélène Pastor et affirme surtout que ces aveux, ensuite rétractés, ne sont qu’une parcelle des charges qui pèsent sur lui.

Me Dupond-Moretti se rassoit, son confrère Luc Febbraro lui succède sans parvenir – non plus – à ébranler la cheffe de groupe. Elle quitte la barre, contenant avec peine un sourire satisfait. Il y a parfois des enquêtes qui, lorsqu’on est avocat de la défense, vous font sortir d’un pas plus lourd de la salle d’audience.