Léon Bertrand, le maire de Saint-Laurent-du-Maroni, le 5 avril 2017 à Kourou. / JODY AMIET / AFP

Lundi matin, Léon Bertrand a été incarcéré dans une cellule individuelle du centre pénitentiaire de Remire-Montjoly. Resté trois mois et demi en détention provisoire en Martinique fin 2009-début 2010, l’ancien ministre délégué au tourisme de Jacques Chirac pourra demander un aménagement de peine avant la fin de l’année, tel un retour à son domicile avec un bracelet électronique.

Mais sa carrière politique semble achevée. Jeudi 13 septembre au soir, quatre jours avant son incarcération, le maire de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, en poste depuis trente-cinq ans, avait livré un discours en forme de testament politique. « Votre maire ira en prison pour des choses qu’il n’a pas commises », avait-il lâché devant un millier de personnes, dont certaines brandissaient des banderoles de soutien.

La veille, la Cour de cassation avait rejeté son pourvoi, rendant définitive sa condamnation à trois ans de prison ferme, 80 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité pour « favoritisme » et « corruption passive » dans une affaire de marchés publics illégaux, passés en 2003 et en 2004 par la Communauté de communes de l’Ouest guyanais (CCOG), qu’il préside depuis dix-sept ans.

« La vérité judiciaire n’est pas la vérité »

Durant l’enquête, trois chefs d’entreprise ont témoigné de pots-de-vin versés en échange de marchés, et l’ex-directeur général des services, Augustin To-Sah-Be-Nza, a détaillé le « système Bertrand » pour financer les campagnes électorales, avant de se rétracter quelques mois plus tard. « Il n’y a pas d’enrichissement personnel, aucune preuve – de détournement – n’est apportée (…), la vérité judiciaire n’est pas la vérité », avait soutenu jeudi Léon Bertrand, annonçant un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne, non suspensif.

Jeudi, devant la presse à l’hôtel de ville, l’élu a vanté son bilan. « J’ai grandi avec Saint-Laurent », a-t-il expliqué. « La commune comptait 6 000 habitants quand je l’ai prise en 1983, aujourd’hui nous sommes à 60 000 [43 000, selon l’Insee]. » En 1986, près de 10 000 réfugiés fuient la guerre civile au Suriname, une bonne partie restera sur la rive guyanaise du Maroni. Pour gérer la diversité de cette ville frontalière, soumise à une immigration intense, Léon Bertrand a joué la carte du natif de Saint-Laurent, au carrefour des cultures de l’Ouest guyanais.

Petit-fils d’un bagnard d’origine vendéenne et d’une créole du Suriname, fils d’une Amérindienne Arawak, le maire assume toutes ses racines. « Je suis fier de mon grand-père bagnard, car il m’a donné mon nom. Gamin, je travaillais avec lui pendant les vacances, il avait une camionnette, il m’a appris à conduire… J’ai fait beaucoup de choses grâce à lui », expliquait le maire en février 2017, sur la chaîne de télévision Guyane la Première.

Crise de croissance

Sous sa houlette, Saint-Laurent-du-Maroni, ancienne capitale du bagne fermé en 1948, s’est réconcilié avec ce passé douloureux. Dans les années 1990, la commune obtient des financements d’Etat pour réhabiliter une partie du camp de la transportation, à l’abandon. Sa visite est devenue la principale attraction touristique de la ville.

Cette réussite ne masque pas la crise de croissance de Saint-Laurent-du-Maroni, où les squats se multiplient, au point de menacer le grand projet de la zone d’aménagement concertée Saint-Maurice. Sur les 3 700 logements sociaux prévus, 1 000 ne seront pas construits, les habitats illégaux ayant envahi la ZAC. Le taux de chômage des 16 à 24 ans approche les 70 %. « Si la Guyane est une poudrière, la mèche commence à Saint-Laurent… Léon Bertrand a eu le charisme pour tenir la ville », affirme au Monde David Riché, président de l’association des maires de Guyane.

S’il a annoncé la fin de sa carrière politique, ses déboires judiciaires ne sont pas terminés. Le 8 novembre, Léon Bertrand comparaîtra en appel dans l’affaire de la Société d’économie mixte du Nord-Ouest guyanais (Senog). En 2008, alors président, il avait octroyé avec son conseil d’administration une prime de départ de 887 000 euros au directeur général – également poursuivi, puis relaxé dans l’affaire CCOG. Condamné une première fois en appel à dix-huit mois de prison et 100 000 euros d’amende pour « complicité d’abus de biens sociaux », l’ancien ministre a vu sa culpabilité confirmée par la Cour de cassation. « Léon Bertrand n’a pas hésité à laisser piller sciemment, dans l’intérêt privé de son dirigeant, une société d’économie mixte (…) qui devait être tournée vers la satisfaction des besoins collectifs », avait fustigé la cour d’appel de Cayenne au sujet de l’affaire Senog.