Parmi les sujets évoqués lors du sommet convoqué par Sebastian Kurz les 19 et 20 septembre, le Brexit. Ici, un panneau situé à Muff (Irlande), situé à la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. / CLODAGH KILCOYNE / REUTERS

Les dirigeants européens se réunissent à Salzbourg, ces mercredi 19 septembre et jeudi 20 septembre, à l’invitation du chancelier autrichien Sebastian Kurz, qui assure la présidence tournante de l’Union jusqu’à la fin de l’année. Au menu principal des discussions, les deux priorités du moment : le Brexit et la migration.

  • Brexit : le calendrier d’un « deal » se précise ; le risque d’un « no deal » pas écarté

« Informelle » – sans décision – la réunion devrait permettre d’affiner le calendrier du Brexit, alors qu’il ne reste plus que trois mois « utiles » aux Européens à 27, pour parvenir à un accord avec Londres. Un sommet extraordinaire sur le sujet devrait être convoqué en novembre, a confirmé mardi 18 septembre Donald Tusk, le président du Conseil (les Etats membres). Les discussions ont beau être entrées dans leur phase finale, un accord lors du prochain Conseil européen (le 18 octobre, à Bruxelles), parait en effet hautement improbable.

En Autriche, les 27 devraient constater que la question irlandaise reste la seule difficulté à surmonter pour un accord. Le gouvernement de Theresa May s’est engagé à éviter la réapparition d’une « frontière physique » entre Irlande du Nord et la République d’Irlande restée dans l’UE après le Brexit.

Pour y parvenir, début 2018, Michel Barnier, le négociateur en chef pour l’Union, a proposé une solution temporaire, le « backstop ». Le temps d’avoir bouclé la « relation future » entre l’UE et Londres, l’Irlande du Nord resterait alignée sur les normes européennes, de manière à éviter les contrôles des biens avec la République d’Irlande. Inacceptable, ont répondu les Britanniques, car cela reviendrait à unifier de fait toute l’île d’Irlande en l’arrimant à l’UE.

Les contre-propositions de Mme May ayant jusqu’à présent été jugées irréalistes, M. Barnier tente une nouvelle stratégie : la « dédramatisation ». La Commission insiste sur le caractère temporaire du backstop et se dit prête à des compromis (contrôle des marchandises en partance pour l’Irlande cogéré avec les douaniers britanniques et européens…).

Si cette « dédramatisation » fonctionne, et si les Britanniques acceptent le « backstop » ou une solution approchante, les négociations, gelées depuis quelques semaines en attente du congrès des Tories, début octobre, pourraient reprendre dans la foulée. Et un accord être trouvé avant mi-novembre. Si tout se passe bien, car les Européens n’ont pas écarté le risque d’un « no deal ». Les réunions préparatoires pour limiter les conséquences d’une telle « catastrophe » – le mot est de M. Tusk – se poursuivent à Bruxelles.

Salzbourg sera aussi l’occasion de vérifier que les 27 continuent à parler d’une seule voix et estiment tous que le Royaume-Uni, devenu pays tiers le 30 mars 2019, ne peut prétendre aux mêmes avantages qu’un pays membre. L’équipe de M. Barnier est fébrile, redoutant que certains gouvernements se désolidarisent dans la dernière ligne droite. Car Londres se livre toujours à un lobbying intense pour tenter de diviser le front continental.

Le point sur le calendrier : plus que quatre mois pour trouver un accord
  • Migration : blocages et désaccords persistent

« Tirer les leçons de ce qui s’est déroulé cet été et voir comment lever les blocages » : voilà, résumé par un diplomate, le programme assez peu ambitieux du chapitre « migration ». En Italie, le ministre de l’intérieur, Matteo Salvini, entend maintenir son refus de laisser accoster les navires qui ont recueilli des migrants ; en Hongrie, Viktor Orban confirme son refus d’accueillir le moindre réfugié.

La réforme du système de Dublin reste, elle, enlisée. Jugé injuste par les pays de première entrée de l’Union, il les oblige à assumer la charge de l’enregistrement des migrants et d’un examen de leur dossier, ainsi que le retour de ceux qui, arrivés dans un autre pays membre, en sont renvoyés. Paris, Berlin et la plupart des capitales veulent maintenir le principe, tout en l’assortissant d’un mécanisme dit de « solidarité », à savoir de répartition des « vrais » demandeurs d’asile et réfugiés.

Compte tenu des divisions actuelles, une uniformisation des règles de l’asile apparaît, elle aussi, très hypothétique. Les quotas de répartition, fixés de manière très précise par la Commission - avec d’éventuelles amendes à la clé - sont, eux aussi, gelés. « La ligne rouge, c’est la soldarité qui doit s’imposer à tous », dit-on Paris. Où l’on envisage cependant de possibles compromis : la solidarité ne devrait pas consister obligatoirement en l’accueil de réfugiés, mais pourrait prendre la forme d’une participation accrue à l’agence des gardes-frontières et gardes-côtes, au soutien financier à des programmes en Afrique, etc.

Les débats progressent un peu plus rapidement sur le volet sécuritaire et l’objectif de tarir au maximum le flux des arrivées. Si la situation est globalement stabilisée, avec une forte diminution des arrivées en l’espace d’un an, des dirigeants s’inquiètent d’une possible reprise de la migration à travers les routes de la Grèce et de la Turquie, et en provenance du Maroc vers l’Espagne. En Italie, les arrivées ont chuté de 85 %.

En juin, les chefs d’Etat et de gouvernement avaient évoqué la création de « plateformes de débarquement » des migrants, dans des pays riverains de la Méditerranée, voire dans des pays européens hors Union - les Balkans. Ce dernier projet, irréaliste, est abandonné. L’autre, pas entièrement. Des structures ont déjà été créées au Niger et au Tchad et doivent, selon certains, servir de modèles pour ces centres d’accueil et de tri. La Tunisie et le Maroc sont plus que réticents, même si Rabat organise déjà, sous la pression de l’Espagne, des déplacements de migrants pour les décourager d’embarquer.

M. Kurz creuse, lui, la piste de l’Egypte, et aurait même songé à inviter le président Abdel Fattah Al-Sissi à Salzbourg. Son but ? Tenter de conclure avec Le Caire un contrat semblable à celui signé avec le Turc Recep Tayyip Erdogan pour le maintien des migrants hors de l’Union. Le chancelier autrichien envisage, aussi, un nouveau sommet Europe-Afrique. « Nous serions intéressés de savoir de quoi on y parlerait. Le pire serait une autre réunion qui ne servirait à rien », tranche un diplomate, plus que défiant.

Du côté français, on ne rejette pas le principe des « plateformes » en dehors de l’UE, tout en précisant que les migrants ne pourraient y être en fermés que « quelques jours », le temps que leur dossier soit examiné. Paris insiste, par ailleurs, sur la nécessité de « muscler » la politique de retours. M. Juncker, le président de la Commission, suggère à cet égard une implication plus grande de l’Agence des gardes-côtes et gardes-frontières. L’ex-Frontex devrait, selon lui, voir ses effectifs portés à 10 000 personnes.

Si un accord semble se dégager sur ce point, certaines capitales entendent toutefois discuter des modalités. « Ne partons pas du nombre d’agents, mais des missions à assumer. Et voyons s’il faut moins, ou plus, de 10 000 hommes », commente un « sherpa ».

L’été a été propice à tellement de conflits qu’une question agite aujourd’hui les chancelleries : Matteo Salvini et Viktor Orban, qui se sont rencontrés récemment pour sceller une union antieuropéenne de fait, veulent-ils réellement un accord sur la migration ? Ou ont-ils décidé de faire une fois pour toutes de ce thème l’outil premier de leur œuvre de démolition et leur meilleur argument de campagne en vue des élections européennes ?

  • L’état de droit, pas au programme, mais dans toutes les têtes

Le récent vote du Parlement européen sur l’état de droit, et la condamnation de M. Orban grâce au ralliement d’une partie de sa famille politique – le PPE – ne sont, officiellement, pas à l’ordre du jour de la réunion. Pour autant, la réunion du rassemblement des droites européennes, qui se tient à deux pas du sommet, deux heures avant, retiendra presque autant l’attention.

Les médias et les décideurs de l’UE attendent en effet de voir si le PPE tire les conclusions du vote historique du Parlement européen, le 12 septembre, portant sur les risques de violation de l’Etat de droit en Hongrie, en signifiant à M. Orban qu’il n’est plus le bienvenu dans le parti.

Selon plusieurs sources proches du PPE contactées ces dernières heures, il était cependant peu probable que les dirigeants du parti pan européen en arrivent à cette extrémité dès mercredi. « Les dirigeants du PPE espèrent toujours de M. Orban qu’il s’engage à transiger avec la Commission, notamment à revoir sa loi sur les universités étrangères [entravées dans leur fonctionnement] », explique une source officielle au PPE. Jusqu’à présent, M. Orban est resté intransigeant. Mais « certains ont peut-être envie d’aller à la bagarre. Difficile à dire. Une fois qu’on a mis les lions en cage, soit ils font l’amour, soit ils s’entre-tuent », ajoute cette source.