Ernest et Bart 1 rue sésame COUP DE CŒUR / FR
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La question de l’orientation sexuelle des héros de fiction est un sujet inépuisable. Au début du XXIsiècle, les personnages de dessin animé Bob l’éponge ou Tinky Winky, des Télétubbies, avaient défrayé la chronique. Avant eux, il y a eu Ernest – celui qui a des idées farfelues – et Bert – qui essaie de lui faire entendre raison –, les deux marionnettes issues du « Muppet Show » qui se retrouvaient dans l’émission « 1, rue Sésame », diffusée depuis la fin des années 1960. Un débat récemment ravivé par la sortie médiatique d’un de leurs auteurs.

Dans une interview publiée dimanche 16 septembre sur le site LGBT Queerty, Mark Saltzman, l’un des scénaristes de la série « 1, rue Sésame » a voulu trancher le débat, contribuant à le rouvrir. A la question de savoir si les deux marionnettes formaient couple gay, il a répondu :

« J’ai toujours senti que (…), quand j’écrivais Bert et Ernest, ils l’étaient. »

Le scénariste précise que les deux personnages avaient des traits de personnalité du couple qu’il formait avec Arnold Glassman, « l’amour de [sa] vie » mort en 2003. « Je ne pense pas que j’aurais pu les écrire autrement que comme un couple aimant », a-t-il expliqué : « la dynamique » entre Ernest et Bert reflétait celle entre son partenaire et lui, l’un étant « chaotique », l’autre « obsessionnel compulsif ».

Les marionnettes n’ont pas d’orientation sexuelle

Cette prise de parole n’a pas manqué de faire réagir le marionnettiste de Bert, Franck Oz, qui a balayé cette hypothèse mardi sur Twitter :

« Il semble qu’on ait demandé à M. Mark Saltzman si Bert & Ernie sont gays. C’est bien qu’il pense qu’ils le soient. Ils ne le sont évidemment pas. Mais pourquoi cette question ? Est-ce vraiment important ? Pourquoi faut-il définir les gens comme étant uniquement gays ? On ne peut pas réduire quelqu’un à son orientation sexuelle. »

Sesame Workshop, la maison de production de la série, a elle aussi pris la peine de démentir mardi sur Twitter les propos de Mark Saltzman :

« Comme nous l’avons toujours dit, Bert et Ernie sont meilleurs amis. Ils ont été créés pour apprendre aux enfants de maternelle qu’on peut être ami avec des gens très différents de soi. Même s’ils sont identifiés comme des personnages masculins et possèdent plusieurs caractéristiques humaines [comme la plupart des marionnettes de 1, Rue Sésame], ils restent des marionnettes et n’ont pas d’orientation sexuelle ».
« Créés pour être meilleurs amis »

Au regard de la sensibilité du sujet, la boîte de production a diffusé quelques heures plus tard un second communiqué sur Twitter, en prenant soin de préciser que « Sesame Street a toujours soutenu l’inclusion et la tolérance ». Légère inflexion de tonalité : Sesame Workshop n’écrit plus que Bert et Ernie « sont » meilleurs amis, mais qu’ils « ont été créés pour être meilleurs amis ».

Question en suspens depuis des décennies

La question de l’orientation sexuelle de ces deux marionnettes, qui partagent la même chambre dans un appartement en sous-sol, a traversé les décennies. Le 6 février 1994 déjà, le New York Times s’en faisait l’écho : « Vous pourriez penser que les gens ont des questionnements plus importants que ceux concernant la vie sexuelle des marionnettes. Et bien, vous auriez tort », écrivait alors le quotidien. Plus récemment, en 2011, une pétition sur Change.org demandait même à « Sesame Street » de laisser Ernest et Bert se marier.

Mais au fond, qu’importe leur orientation sexuelle : les deux marionnettes sont devenues le symbole de la lutte pour la reconnaissance des droits LGBT. En 2013, pour illustrer des décisions historiques de la Cour suprême américaine sur le mariage homosexuel, le magazine New Yorker avait justement choisi une image d’Ernest et Bert dessinée par l’artiste Jack Hunter, intitulée Moment of Joy, comme couverture de sa publication du 8 juillet 2013, l’un posant la tête sur l’épaule de l’autre.

Mardi, dans un article intitulé « Bert and Ernie are totally gay, and that’s a good thing for the LGBT community » (« Bert et Ernie sont totalement gay, et c’est une bonne chose pour la communauté LGBT »), le San Francisco Chronicle estime qu’« en l’absence de représentation dans les médias, les téléspectateurs LGBT ont cherché des reflets d’eux-mêmes dans des personnages qui ne relèvent pas des catégories sexuelles habituelles ».

Le journal va plus loin et s’interroge : « En 2018, a-t-on besoin de marionnettes homosexuelles ? » Et apporte sa réponse : « Pour les téléspectateurs gays, la réponse va de soi : nous en avons autant besoin que d’une représentation LGBT en chair et en os ». On aurait tort de s’offusquer de la présence de ce couple gay, poursuit l’article, surtout dans une rue où « un oiseau mesurant 9 pieds de haut [2,74 mètres] et un monstre vivant dans une poubelle sont considérés comme des habitants à part entière ».