Le ministre de l’intérieur, Gerard Collomb, à l’Elysée, le 19 septembre. / LUDOVIC MARIN / AFP

Editorial du « Monde ». Le ministre de l’intérieur – ou plutôt le futur ex-ministre de l’intérieur –, Gérard Collomb, a eu le temps, lors de son long parcours politique, de bâtir son personnage : celui d’un élu de terrain qui ne s’encombre ni de circonlocutions ni de formules aseptisées, pour appeler un chat un chat et récuser le « politiquement correct ». Il vient d’en faire une éclatante démonstration dans l’entretien qu’il a accordé à L’Express, le 18 septembre.

Qu’il annonce son intention d’être candidat à la prochaine élection municipale à Lyon n’est en rien une surprise : déjà maire entre 2001 et 2017, chacun sait qu’il est resté très attaché et attentif à « sa » ville. En revanche, qu’il l’annonce dix-huit mois avant le scrutin est singulier. Et, plus encore, qu’il fixe lui-même la date à laquelle il entend quitter ses fonctions ministérielles – au lendemain des élections européennes de mai 2019. Difficile d’imaginer décision politiquement plus incorrecte, dans tous les sens du terme.

Désinvolture

D’abord dans la forme, pour le moins désinvolte. Qu’un ministre, qui plus est ministre d’Etat et ministre de l’intérieur, proclame publiquement sa volonté de quitter le gouvernement et précise lui-même le calendrier de ce départ n’est pas seulement sans précédent. C’est aussi tenir pour négligeable l’article 8 de la Constitution, selon lequel « le président de la République, sur proposition du premier ministre, nomme les membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions ».

En procédant comme il le fait, de sa propre initiative, selon son agenda personnel, voire son bon plaisir, Gérard Collomb met donc le chef de l’Etat et celui du gouvernement devant le fait accompli. Laurent Wauquiez, le président des Républicains, a qualifié la situation de « surréaliste ». Il dit juste.

Le moment choisi pour cette annonce est tout aussi stupéfiant. C’est peu de dire que la rentrée politique d’Emmanuel Macron était laborieuse. Le trouble créé par l’affaire Benalla depuis le mois de juillet, la démission tout aussi iconoclaste, il y a trois semaines, du ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, le pataquès sur le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, la situation économique assombrie : tout a contribué à mettre un terme à une première année de quinquennat conquérante.

Autorité fragilisée

La sortie annoncée du locataire de la Place Beauvau ne peut qu’accentuer le dérèglement de la machine gouvernementale et ajouter au « tourbillon », plus exactement aux turbulences, sur lequel philosophait récemment le premier ministre.

Quoi qu’il en dise, en effet, on voit mal comment le désormais ministre de l’intérieur sursitaire pourrait gérer avec la force requise les très lourds dossiers qui sont les siens : lancinantes questions de la sécurité, persistante menace terroriste, organisation de l’islam de France, rapports (tendus) avec les collectivités locales, préparation annoncée d’un changement de scrutin législatif impliquant un redécoupage électoral de très grande ampleur... Gérard Collomb ne s’est pas seulement condamné à l’impuissance, ou à l’inaction, il a fragilisé l’autorité du président de la République.

Quel qu’ait été l’attachement d’Emmanuel Macron à celui qui fut l’un des premiers à croire en son destin, le chef de l’Etat n’a, en réalité, guère d’autre choix que de le renvoyer, aussi rapidement que possible, dans ses foyers lyonnais. Et de nommer Place Beauvau un ministre de l’intérieur de plein exercice.