Le président de l’Agence mondiale antidopage, Craig Reedie, à Lausanne, en mars. / FABRICE COFFRINI / AFP

C’est aux Seychelles que tout va se jouer. L’Agence mondiale antidopage (AMA) y réunit, jeudi 20 septembre, son comité directeur avec, au menu, pour les douze membres qui composent cette instance (six représentants de gouvernements, six représentants du mouvement sportif et olympique), une question à trancher : faut-il lever les sanctions à l’encontre de la Russie, trois ans après le scandale de dopage qui a touché ce pays, et faut-il réintégrer au sein de l’AMA l’agence russe antidopage (Rusada), considérant que cette dernière est redevenue « conforme » au code mondial antidopage ? L’hypothèse d’un tel retour a été évoquée, le 14 septembre, par la direction de l’AMA, suscitant depuis lors un flot de critiques. Tour d’horizon de ce dossier.

Pourquoi l’agence russe a-t-elle été évincée de l’AMA ?

Rusada a été suspendue en novembre 2015, au début d’un scandale qui a débouché sur la révélation d’un système institutionnel de dopage en Russie entre 2011 et 2015 touchant tous les sports et des centaines d’athlètes. En décembre 2016, le rapport McLaren, rédigé par des personnalités indépendantes, a fait état d’une conspiration recouvrant trente sports et remontant à 2011 au moins.

Une commission d’enquête, dirigée par Samuel Schmid, ancien président de la Confédération helvétique, a établi que la Russie avait mis en place un système de dopage d’Etat culminant avec la manipulation des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, en 2014. Certains sportifs russes étaient alors protégés des contrôles antidopage, leurs échantillons étant soit troublés, soit échangés contre d’autres contenant une urine propre.

Ce système, organisé par les services secrets russes (FSB), avait prospéré à l’instigation du ministre des sports de l’époque, Vitali Moutko, et de Grigori Rodchenkov, l’ancien directeur du laboratoire de Moscou, qui a servi de lanceur d’alerte dans l’affaire et s’est depuis réfugié aux Etats-Unis dans un programme de protection des témoins.

Le Comité international olympique (CIO) avait suspendu le Comité olympique russe (ROC) en décembre 2017. Cette suspension avait été levée en février, trois jours après la fin des Jeux olympiques de Pyeongchang.

Quelles sont les conditions pour une réintégration des Russes au sein de l’AMA ?

Frappée par les sanctions en novembre 2015, Rusada a repris ses contrôles depuis 2017, sous surveillance d’experts étrangers. Mais deux conditions ont été fixées par l’AMA pour un retour à la normale : que les autorités russes acceptent publiquement les conclusions du rapport McLaren sur l’existence d’un système institutionnel de dopage ; que le gouvernement russe donne accès à l’AMA au laboratoire antidopage de Moscou, au cœur de la triche organisée pendant des années.

Le président russe Vladimir Poutine au côté de Vitali Moutko, à Moscou, en octobre 2017. / ALEXEY NIKOLSKY / AFP

La Russie a soufflé le chaud et le froid. Dans une lettre, mi-mai, le ministre des sports, Pavel Kolobkov, a reconnu que des « manipulations inacceptables du système antidopage » ont existé. Avant, quelques jours plus tard, de déclarer : « Nous sommes en désaccord avec le rapport McLaren. »

« Tout va dans le bon sens. Les tests effectués là-bas, les nouveaux contrôleurs formés nous satisfont. Ils ont réglé le problème des cités fermées [villes à l’accès restreint, voire interdit, aux étrangers en raison de leur rôle militaire], donc il n’y a plus d’endroit où les contrôleurs ne peuvent pas aller », jugeait, en mars, le directeur général de l’AMA, Olivier Niggli. « Il faut maintenant régler les deux derniers points », ajoutait-il.

L’AMA est-elle prête à franchir le pas ?

Un « comité indépendant de révision de conformité » a été mis en place par l’AMA. Il a « recommandé au comité exécutif la réintégration de Rusada », a annoncé la direction de l’AMA vendredi 14 septembre. Dans la foulée, cette dernière n’a pas caché qu’elle envisageait cette hypothèse.

Au cours de ces derniers mois, elle a cherché à trouver un compromis. Dans un courrier du 22 juin, révélé par la BBC le 14 septembre, elle a encouragé par exemple les Russes à faire des aveux édulcorés sur « l’implication de personnes au sein du ministère des sports et de ses entités ».

En réponse, dans une lettre du 13 septembre, le ministre russe des sports a esquissé une ébauche d’aveux, mais sans référence à l’existence d’un système d’Etat. Il a promis de remettre une copie de la banque de données du laboratoire de Moscou, mais une fois que Rusada serait réintégrée.

Qui dénonce le possible retour des Russes et pourquoi ?

En l’espace de quelques jours, l’opposition a gonflé contre la possible levée des sanctions visant la Russie. La vice-présidente de l’AMA, la Norvégienne Linda Helleland, a déclaré, mardi 18 septembre, qu’elle s’opposerait à la levée des sanctions lors du comité exécutif de l’agence, dont « la crédibilité », selon elle, est en jeu.

« Il y a eu des progrès et je reconnais les efforts de Rusada. Mais tant que le rapport McLaren n’est pas reconnu et que l’AMA n’a toujours pas accès aux laboratoires, je voterai contre », a précisé Mme Helleland, candidate à la présidence de l’AMA en 2019, dans une déclaration à la BBC.

« Tout compromis serait dévastateur pour le sport propre », ont également mis en garde dans une déclaration conjointe sept des dix-sept membres du comité des sportifs de l’AMA.

Le patron de l’agence antidopage américaine, Travis Tygart, tombeur du cycliste Lance Armstrong, a dénoncé un « tour de passe-passe », quand son homologue française Dominique Laurent, présidente de l’Agence française de lutte contre le dopage, a déploré des « exigences à deux vitesses ».

« Le leadership réclame de faire preuve de flexibilité », s’est défendue l’AMA. « Les propositions faites [aux Russes] sont ancrées dans le pragmatisme » pour « parvenir à une conclusion dans ce dossier et ne pas voir disparaître les efforts réalisés par Rusada depuis deux ans, sous la supervision de l’AMA », a-t-elle insisté.