Dans les rues de Palerme, en Italie. / Francesco Bellina / Cesura

Chronique de la Méditerranée. Le Monde Afrique se propose de raconter le parcours de migrants africains qui ont pris la route de l’Europe et tentent de construire une vie nouvelle, avec ou sans papiers.

Un jeune Nigérian s’enfonce dans une cave de la rue Lincoln, à Palerme. De grosses gouttes de sueur coulent sur ses épaules. Les marchandises empilées sur un diable bleu le dépassent d’une tête. A quelques mètres de lui, Mamadou le montre du doigt : « Tu vois, c’est là que je travaillais il y a quelques mois. Tu ne t’arrêtes jamais, de 8 heures du matin à 8 heures du soir. Et même en hiver, je te promets que tu n’as pas froid ! »

Mamadou travaille toujours pour un patron chinois. Mais, raconte-t-il fièrement, celui-ci lui verse désormais 150 euros par semaine, au lieu des 120 qui constituent la norme. Soucieux d’éviter les contrôles de la Guardia di Finanza, le robuste Gambien, arrivé à Catane à l’été 2016, scrute nerveusement l’artère commerçante qui relie la gare de Palerme au front de mer, où ont fleuri les enseignes chinoises.

Ces commerçants vendent de tout mais surtout de la marchandise à bas prix. Dans l’un de ces entrepôts, s’amoncellent des jeans et des chemises sous cellophane, dans l’autre, c’est du matériel de jardinage et des meubles en plastique. Plus loin, on aperçoit un magasin d’électroménager. Depuis quelque temps, les ressortissants de l’empire du Milieu ont compris que les jeunes migrants sans papiers représentaient une opportunité économique pour eux.

« Impossible de travailler légalement »

Cette année, selon le gouvernement, près de 10 000 Africains ont débarqué sur les côtes italiennes. Pour le plus grand bonheur de certains commerçants. « Les règles sont toujours les mêmes. Ils ne prennent que des gens au noir. Ils nous promettent de nous aider à obtenir des papiers, mais ce sont des mensonges », fulmine Mamadou. « J’ai aidé mon précédent patron à installer tous les meubles de son magasin. Un ouvrier italien lui avait demandé 1 500 euros. Moi, il m’en a donné 50. »

Alors que nous remontons sur la rue Lincoln, Aboubacar, jeune Malien fraîchement débarqué de l’enfer libyen, profite de l’absence de son patron non pas pour dénoncer ses conditions de travail mais pour blâmer le gouvernement italien. « Nous n’avons pas de statut, il nous est impossible de travailler légalement. Du coup, les Chinois sont notre seule option. Ils nous engagent pour faire la sécurité et vérifier que personne ne vole de la marchandise. Nous nous occupons aussi de décharger les produits. »

Aboubacar gagne 120 euros par semaine. Il s’est résigné. « J’ai tenté ma chance dans le nord, explique-t-il. Ils m’ont mis dans le camp de la Croix-Rouge à Milan. Impossible de travailler là-bas ! J’ai dû revenir en Sicile. » En effet, la Lombardie est la région qui accueille le plus de migrants : plus de 25 000 sur les 180 000 comptabilisés en 2017 par les autorités. La Sicile a, pour sa part, accueilli sur cette même année près de 15 000 arrivants, pour la plupart en provenance du continent africain. Si Aboubacar espère encore pouvoir atteindre un autre pays, il est limité par ses horaires éreintants : de 7 heures du matin à 8 heures du soir.

Billets de 500 euros

Forte de près de 3 000 âmes à Palerme et 6 000 dans les alentours, la communauté chinoise est fidèle à sa réputation de discrétion. Aucun commerçant n’a accepté de nous parler. Mais un comptable palermitain nous a confirmé, sous le couvert de l’anonymat, que les salaires des employés africains n’apparaissaient nulle part. « Aucun d’eux n’est déclaré. Ils gagnent environ 15 euros par jour. Mais administrativement ils n’existent pas », nous raconte-t-il depuis son bureau.

Une situation de quasi-exploitation qui n’étonne pas Salvatore. Ce commerçant installé rue Lincoln depuis plus de trente ans voit d’un mauvais œil le développement des commerces asiatiques. « Aujourd’hui, il n’y a plus que cinq magasins tenus par des Palermitains sur les soixante de la rue ! Avec les migrants, les Chinois font comme nous quand on les force à récolter des tomates : ils profitent de leur faiblesse », souffle-t-il, désabusé.

Front dégarni et cigarette au bec, il ajoute depuis l’entrée de son échoppe de tissus : « Le problème, c’est que les Chinois ne déclarent rien. Ce n’est pas un hasard si toutes les coupures de 500 euros à Palerme sont entre leurs mains. Ils achètent ces billets plus cher [que leur valeur faciale] parce que ça prend moins de place à transporter. »

Si la création de la Chinatown palermitaine a donné lieu à toutes sortes de fantasmes, la collaboration entre patrons chinois et employés africains est devenue courante. Mais, de manière générale, ces derniers ne restent pas longtemps. « J’étais l’un des premiers à travailler ici, j’ai même fait engager sept de mes amis gambiens. Mais le jour où je reçois mes papiers, je démissionne immédiatement », confirme Mamadou.