Une plantation du groupe Sime Darby dans le nord-ouest du Liberia, en décembre 2017. / Thierry Gouegnon / REUTERS

Au Liberia, la loi réformant la propriété foncière, attendue depuis plusieurs années, a été promulguée par le nouveau président George Weah, mercredi 19 septembre. Elle doit permettre d’affermir la situation des communautés rurales, qui jusqu’à présent ne possédaient pas de titres sur leurs terres, et prévenir l’attribution incontrôlée de grandes concessions à des sociétés privées étrangères – notamment pour la culture du palmier à huile – au détriment des petites exploitations familiales.

Fondateur du cercle de réflexion sur l’Afrique de l’Ouest WATHI et ancien directeur de projets de l’International Crisis Group, Gilles Yabi souligne que la promulgation de cette loi n’est cependant que le début d’un processus long et exigeant vers une redistribution plus équitable des terres.

La loi réformant le droit de la terre au Liberia est qualifiée d’« historique » dans ce petit Etat d’Afrique de l’Ouest. Le qualificatif n’est-il pas un peu fort ?

Gilles Yabi La promulgation de cette loi, dans un pays où, ces dernières années, le pouvoir politique et le pouvoir économique étaient entre les mains d’une petite minorité, est bel et bien à saluer comme un moment historique. Certains vont même jusqu’à le qualifier de « révolutionnaire ». Je souhaite quand même pondérer cet enthousiasme en rappelant que la réforme n’a pas encore eu lieu et que le plus difficile commence maintenant.

Vous doutez que le pays disposera d’un cadastre sous deux ans, comme le président George Weah, élu en janvier, s’y est engagé ?

Pour mettre en œuvre une telle réforme, il faut réunir plusieurs conditions. D’abord, il faut une vraie volonté politique. Ce que je ne mets pas en doute. Mais ensuite, il faut disposer des moyens pour conduire ce changement dans la transparence. Or nous sommes dans un petit pays où l’Etat est faible et a peu de moyens. Aussi, même si la réforme doit faire plus de gagnants que de perdants, ces derniers sauront se faire entendre et une résistance va forcément se constituer.

Connaît-on vraiment le pourcentage des terres concerné ?

L’absence de cadastre, ajoutée à une pauvreté de l’appareil statistique, ne permet pas de répondre à cette question. Mais les surfaces sont importantes dans ce pays où l’élite des descendants d’esclaves affranchis a accaparé la propriété depuis la création de l’Etat en 1847.

Outre sa portée sociale, cette loi est d’abord une nécessité économique. Le président pouvait-il faire autrement alors que la possession du sol et les modalités de la propriété constituent les bases du développement économique d’un pays ?

La terre, en Afrique plus qu’ailleurs, est un levier fondamental de développement. La possibilité pour les jeunes ruraux d’accéder à des espaces afin de les cultiver est essentielle pour leur accès à un emploi. Ça l’est aussi pour le développement de l’agriculture et, en conséquence, pour le bien-être des populations.

Et cette valeur économique de la terre est encore renforcée d’une valeur symbolique qui n’est pas à négliger…

Effectivement. Toucher à la propriété de la terre, c’est toucher au pouvoir qu’on se transmet de père en fils dans les lignées familiales. Dans certaines zones, l’Etat s’est rendu propriétaire avec l’intention louable d’éviter les conflits entre plusieurs familles. Ça aurait pu être la solution, mais quand l’Etat n’inspire pas confiance, quand il dysfonctionne, ça ne peut pas marcher et cela se traduit dans un second temps par un accaparement du bien par des hommes politiques.

En parvenant à promulguer cette loi huit mois après son arrivée au pouvoir, George Weah fait montre de sa volonté d’agir sur le sujet. Peut-on prendre cette question comme un indicateur global de la politique qu’il va mener ?

Il est évidemment trop tôt pour le dire. George Weah s’est fait élire sur la promesse de servir la population. La promulgation de cette loi va dans ce sens et veut contribuer à faire passer l’intérêt général avant les intérêts particuliers. Mais, je le répète, tout reste à faire, et la réussite de son projet dépendra de sa capacité à en assurer le suivi en détail. Le retour des terres entre les mains des comités de gestion ne garantit pas nécessairement que la répartition sera ensuite juste. Sous l’échelon national, il y a le local. Là encore, les enjeux de pouvoirs sont forts. Ce qui signifie que, pour que ça marche, il lui faudra aussi faire évoluer les politiques locales.