Jenia Grebennikov, qui évoluait depuis trois ans à l’Associazione Sportiva Volley Lube, à Civitanova, s’apprête à rejoindre Trentino. / PIOTR NOWAK / AFP

A Civitanova (province de Macerata), Jenia Grebennikov en oublierait presque que l’air breton lui manque. Là, dans ce club d’Italie centrale où il évolue depuis la saison 2015-2016, le Rennais a ses petites habitudes, comme ce restaurant fétiche où il nous a reçus au printemps.

A tout juste 28 ans, Grebennikov, qui attaque vendredi 21 septembre avec l’équipe de France la deuxième phase du Mondial de volley (coorganisé par la Bulgarie et l’Italie du 9 au 30 septembre), a sacrifié beaucoup pour sa carrière. Fils d’une entraîneuse de volley et d’un ancien joueur professionnel devenu coach du club de Rennes, le volley s’est imposé à lui comme une évidence. Petit, il assistait aux entraînements de sa mère et finissait toujours par taper la balle. « Même à la maison on faisait des un contre un avec mon frère et ça partait toujours en cacahuète, parce que mon frère était beaucoup plus fort, raconte-t-il. Depuis tout petit, je voulais être pro, je voulais que ma passion soit mon métier. J’aurais pu faire du curling pour y parvenir. »

Heureusement pour lui, ce Breton au regard vif n’a pas eu besoin d’en arriver là pour se faire connaître. Mais à quel prix ? Car si tout le prédestinait, Jenia Grebennikov n’a pas vraiment la taille d’un volleyeur professionnel. Du haut de son 1,88 m, il ne fait pas le poids face aux colosses qui dépassent parfois 2 mètres. Le poste de libero était sa seule issue. « Si je m’étais écouté, j’aurais été réceptionneur-attaquant. C’est mon père qui m’a convaincu que pour toucher les étoiles, il fallait être libero. »

Le libero, « on ne voit que ses erreurs »

Libero, un poste ingrat. Sur le terrain on le prend pour le capitaine car il ne porte pas le même maillot que les autres mais peu connaissent précisément son rôle. Le libero défend. Il ne peut ni attaquer ni servir. Il est le rempart de son équipe. Rapide, vif, tactique, il est le premier à plonger pour protéger son camp. C’est un poste décisif, dans la mesure où toutes les stratégies défensives s’organisent autour de lui, mais cruel. A l’affût pendant tout le match, il arrive qu’il ne touche pas une seule balle. « Je ne suis pas dans la lumière. Quand on gagne un match, on ne se dit pas que c’est grâce à moi. Je ne suis pas un Earvin Ngapeth qui va mettre douze aces d’affilé. » Le libero est volontiers comparé au gardien de foot : « On ne voit que ses erreurs. Parfois, tu fais un match énorme et tout le monde s’en fout. »

Pour pallier ce manque de reconnaissance, « Grebe » a sa méthode. Etre spectaculaire. Là où Earvin Ngapeth impressionne avec ses no look – points marqués à l’aveuglette – Jenia Grebennikov répond en sautant dans les tribunes pour récupérer le ballon. Adieu les manchettes traditionnelles, il n’hésite pas à plonger. Cou, torse ou épaule, peu importe tant qu’il réceptionne. Devenu sa marque de fabrique, son style peu académique est surtout très efficace. « Je n’attends pas que la balle vienne sur moi, je vais la chercher, explique-t-il. Je prends des risques et c’est comme ça que je prends du plaisir. »

Et s’il doit prendre des coups au passage, c’est tant mieux, cela ajoute au folklore : « Parfois, tu te prends des parpaings à 120,130 km/h, tu défends la balle et tu vois dans ses yeux que ton adversaire est dégoûté. Ça, c’est jouissif, confie le joueur, qui a su évacuer la frustration des débuts. C’était très difficile pour moi de ne pas pouvoir marquer de point. Aujourd’hui, j’adore ce poste parce que je me le suis approprié. »

« On ne peut pas briller quand on est libero, Jenia brille car il fait des gestes que personne d’autre ne fait », explique Arnaud Josserand, l’adjoint de Laurent Tillie

Ce talent, Laurent Tillie, le sélectionneur de l’équipe de France et son adjoint, Arnaud Josserand, l’ont vite repéré. « Il a ça dans le sang, résume ce dernier. On ne peut pas briller quand on est libero, Jenia brille car il fait des gestes que personne d’autre ne fait. Il sent la balle. Il a ce naturel et cet instinct qui font de lui le meilleur libero du monde. »

Ses coéquipiers de l’équipe de France ont eux aussi bien compris qu’ils pouvaient compter sur leur libero. Notamment la star attaquante des Bleus, Earvin NGapeth. Amis d’enfance, ils ont fait leurs premiers pas ensemble en équipe de France : « Je joue avec lui depuis que j’ai 15 ans. On se connaît par cœur, résume Jenia Grebennikov. On n’a même pas besoin de se parler, on sait déjà comment s’organiser sur le terrain. »

Le duo s’est révélé lors des championnats du monde 2014. A l’époque, la jeune équipe, inattendue dans cette compétition, termine 4e. Déçu, Jenia Grebennikov repart tout de même avec le titre de meilleur libero du monde. C’est aussi durant cette compétition qu’il se fait repérer par l’un des meilleurs clubs du monde, Lube (basé en Italie à Civitanova). Il succède alors à Jean-François Exiga et Hubert Henno, eux-mêmes anciens liberos de l’équipe de France.

Mais après trois ans à Lube, Jenia Grebennikov commence à avoir le mal du pays. Il est tiraillé entre sa volonté de retourner en France auprès de sa famille et ses perspectives professionnelles. Encore une fois, il privilégie sa carrière. Une fois le Mondial fini, il rejoindra Trentino (à Trente, dans le nord-est de l’Italie). Avec, il l’espère, une nouvelle médaille d’or à son actif. Avant ça, il faudra d’abord survivre à un week-end périlleux, où lui et ses coéquipiers devront impérativement battre la Serbie vendredi, puis la Pologne, samedi, s’ils veulent poursuivre l’aventure.

Trois matchs couperet

La deuxième phase de poule du Mondial masculin de volley débute vendredi 21 septembre. L’équipe de France affrontera successivement la Serbie (vendredi), la Pologne, championne du monde en titre (samedi), et l’Argentine (dimanche). Les matchs auront lieu à Varna, en Bulgarie. A la clé : l’accès à la phase finale, qui réunira les six meilleures équipes à Turin (Italie), à partir de mercredi 26 septembre.

Seize équipes sont encore en lice dans ce Mondial, réparties en quatre groupes. Les premiers de chaque groupe, ainsi que les deux meilleurs deuxièmes accéderont au troisième tour, à Turin. Les Français se sont mis en difficulté au premier tour, en perdant contre les Pays-Bas. Ils abordent ce deuxième tour avec trois victoires (Chine, Egypte, Canada), contre cinq aux Polonais et quatre aux Serbes. Or, les résultats du premier tour sont conservés. La France peut donc être éliminée en gagnant ses trois matchs. Elle peut aussi se qualifier en n’en remportant que deux.