Sean Bratches, directeur commercial de la F1, veut « faire de la Formule 1 la première expérience de divertissement sportif au monde ». / YONG TECK LIM / AP

Surtout ne pas rater le virage du numérique. C’est l’obsession du groupe américain Liberty Media depuis qu’il a racheté la formule 1, à la fin de 2016. Dernier épisode en date, l’annonce d’un accord de 100 millions de dollars sur cinq ans passé avec les fournisseurs de données Interregional Sports Group (ISG) et Sportradar afin de mettre en place des publicités virtuelles ciblées lors des Grand Prix et d’autoriser les sociétés de paris en ligne à devenir sponsor et à proposer aux spectateurs de parier.

Bernie Ecclestone, grand argentier de la F1 pendant quarante ans, s’était toujours opposé à associer de près ou de loin F1 et paris sportifs. Moins de deux ans après son éviction, le nouveau propriétaire saute le pas. Les détails de l’accord ont été révélés le 19 septembre lors de la conférence Betting on Sports 2018, à Londres, conférence internationale annuelle sur le sport et ses paris.

« Des partenariats de données et de parrainage comme celui-ci sont des pratiques courantes dans presque tous les sports de haut niveau », relève Sean Bratches, directeur général des opérations commerciales de la F1, qui ajoute qu’« il s’agit de la dernière étape de notre mission visant à faire de la formule 1 la première expérience de divertissement sportif au monde ». Le tout avec la caution Sportradar, mastodonte mondial de la détection de fraude, déjà partenaire des principaux détenteurs de droits sportifs mondiaux, notamment la FIFA et l’UEFA en football, la NBA en basket, le World Rugby…

Exemple du publicité virtuelle, lors des matchs de la NHL (championnat de hockey sur glace) le club des Canadiens de Montréal propose une incrustation télé au-dessus des cages. / SPORTBUZZBUSINESS

Un fan, un parieur ?

Les publicités localement ciblées, qui apparaissent pour les spectateurs sur les placards virtuels en fonction du lieu où les compétitions sont diffusées, ne sont pas une nouveauté. Elles existent entre autres dans les championnats internationaux en football, en basket (NBA), en rugby, en NHL (hockey), en NFL (football américain)…

La F1, en retard en la matière, y voit une réelle marge de manœuvre. La nouveauté est qu’ISG pourra sous-licencier les droits de publicité à des opérateurs de paris. « Cela ne signifie pas pour autant que chaque fan va se transformer en parieur », rassure Sean Bratches

L’accord autorise également les annonceurs de paris à incruster des graphiques à l’écran, y compris — « potentiellement » selon l’accord — les cotes en temps réel des pilotes lors d’un Grand Prix.

Contactée, la Fédération internationale de l’automobile (FIA) souligne que « la mise en place de paris en ligne fait partie des droits commerciaux d’exploitation ».

Moins de 1 % des paris

Les paris en ligne sont un dossier complexe. Même si douze opérateurs proposent déjà, rien qu’en France, de parier sur les courses de formule 1, ce marché reste une niche. Les paris concernent surtout le football (60 %), le tennis (20 %), puis le basket, le rugby et le handball, chacun à 5 %, précise Matthieu Desplats, responsable de la communication du PMU. La formule 1 représente moins de 1 % des paris engagés (sur un total de 320 millions d’euros annuels pour le PMU).

Il ne faudrait pas croire pour autant que les paris en ligne sont synonymes d’argent facile. Pas plus pour le parieur que pour l’organisateur. Ainsi, lors du dernier Mondial de football, rappelle Matthieu Desplats, si la compétition a généré un record de 690 millions d’euros de paris sportifs dans l’Hexagone, les sites proposant les paris ont globalement perdu 10 millions d’euros, victimes de la victoire trop prévisible des hommes de Didier Deschamps.

Exister sur le marché des paris en ligne « est un travail de longue haleine, selon Matthieu Desplats. C’est un secteur très concurrentiel avec un nombre d’acteurs qui a doublé entre la finale de l’Euro 2016 et le Mondial 2018 ».

Légalisés aux Etats-Unis en avril

Ces paris sont également très encadrés. En France, l’Arjel, l’autorité de régulation des jeux en ligne, veille au respect des règles depuis 2010. L’organisme a établi une liste des disciplines sur lesquelles on a le droit de parier.

« La formule 1 est suffisamment professionnelle pour qu’on autorise les paris, explique Martin Saint-Léon, directeur des marchés à l’Arjel. On peut parier sur le podium de la course, le meilleur temps au tour, le nom du vainqueur, le classement… En revanche on ne peut pas parier sur la sortie de la safety car [voiture de sécurité qui fige la course en cas d’incident ou d’accident, le temps que la piste soit à nouveau praticable et dégagée] ou sur le fait qu’Untel va se cracher ou pas. » Par ailleurs, l’Arjel a établi une liste des opérateurs agréés.

Aux Etats-Unis, la législation était encore plus stricte jusqu’à il y a peu. Seuls quatre Etats autorisaient les paris sportifs — Delaware, Montana, Nevada, Oregon. Mais la Cour suprême a décidé, le 14 avril, à Washington, d’abolir la règle qui interdisait les paris dans les quarante-six autres Etats.

Au 9 septembre, les parieurs de l’Etat du New Jersey avaient dépensé plus de 95 millions de dollars sur des événements sportifs, soit plus du double du mois précédent. / WAYNE PARRY / AP