Les supporteurs français exultent après la victoire contre l’Allemagne. / DR

L’ambiance est bouillante, samedi 22 septembre en région parisienne, alors que les supporteurs français accueillent leurs héros. Les drapeaux tricolores s’agitent, le bruit est assourdissant et les joueurs font leur entrée sous les acclamations pour un France-Allemagne qui s’annonce disputé. Dans cette salle de la Défense, l’ambiance et la ferveur créées par les 2 500 spectateurs n’ont rien à envier à un match des Bleus.

Les sportifs encouragés sont tous des joueurs professionnels d’Overwatch, un jeu vidéo compétitif sorti en 2016, et qui rassemble plus de 40 millions de joueurs dans le monde entier. Ce week-end, la France joue les phases de groupe de la Coupe du monde, dont la partie européenne est organisée à Paris. L’objectif : décrocher une place pour les phases finales, qui se déroulera aux Etats-Unis.

C’est la première fois que Blizzard, concepteur du jeu, organise une compétition d’Overwatch en France. Les matchs font salle comble, et les maillots tricolores vendus en boutique sont en rupture de stock. Chaque match est diffusé et commenté en direct sur Twitch en plusieurs langues, pour des milliers de spectateurs supplémentaires.

« C’est vraiment beaucoup d’émotions », témoigne Helena, venue d’Orléans, et qui assiste à son premier match d’e-sport « au stade ». Nicolas, 24 ans, et Jean-Baptiste, 23 ans, se sont rencontrés sur Overwatch, en jouant ensemble. Aujourd’hui ils se voient pour la première fois à l’occasion de la Coupe du monde. « J’ai arrêté de regarder le foot à partir du moment où j’ai découvert Overwatch », explique tout sourire Jean-Baptiste, étudiant en informatique venu de Clichy.

Un jeu compétitif accessible et grand public

Pour comprendre cet engouement, il faut saisir l’attrait irrésistible d’Overwatch. Dès le départ, le jeu a été conçu pour être le plus grand public possible. Plus qu’un énième jeu de tir réaliste et guerrier, Overwatch privilégie l’entraide et le jeu d’équipe, avec des personnages tous plus bariolés les uns que les autres, et rapidement accessibles aux néophytes.

Overwatch Cinematic Trailer
Durée : 06:01

Les parties – environ vingt minutes – sont des enchaînements d’affrontements sur une ligne de front, chaque équipe devant prendre du terrain sur l’autre. Chaque joueur a un rôle crucial : certains doivent soigner leurs coéquipiers, d’autres attaquer avec précision les adversaires, et d’autres protègent leur équipe. Les combats sont rapides. Dès lors qu’un joueur tombe, son équipe se trouve en infériorité numérique, et peut se faire faucher en quelques secondes.

Une compétition spectaculaire et disputée

Le spectacle de ce jeu, à si haut niveau, est indéniable : les équipes se meuvent sur le champ de bataille avec une synchronisation et une tactique acquises par des heures d’entraînement et de communication. Quand un joueur ne joue pas sa partition à la perfection, c’est toute l’équipe qui est sanctionnée.

Pour l’instant, l’équipe de France est en bonne route. Après une victoire écrasante (3-1), vendredi, contre les Pays-Bas, « le VI », comme les fans l’appellent, a encore répondu à l’appel samedi. Les tricolores ont décroché une victoire laborieuse, mais pleine de suspense contre l’Allemagne (3-2), avant de défaire l’Italie avec une aisance insolente (4-0).

Le public exulte, et acclame les joueurs stars au fil des matchs. Le héros du public, c’est Terence Tarlier, dit « Soon ». Chacune de ses actions, ce week-end, est ponctuée par le public d’un « Sooooooooooooon ».

Ira-t-on voir les matchs en famille le dimanche ?

Blizzard voit grand dans l’e-sport. En dehors de cette troisième édition de la Coupe du monde, l’éditeur d’Overwatch organise des compétitions permanentes entre clubs représentant des villes. Huit nouvelles équipes vont rejoindre l’Overwatch League, la première division, lors de la prochaine saison, dont une équipe parisienne.

Il y a quelques mois, Nate Nanzer, responsable de l’Overwatch League, déclarait qu’à l’avenir, les parents emmèneront leurs enfants voir des matchs d’Overwatch comme on va voir du base-ball ou du football. Aujourd’hui ? Pari réussi, assure-t-il. « Partout dans le monde des familles se rendent ensemble à nos événements, et cette tendance va continuer. »

M. Nanzer promet également que Blizzard veut, à terme, que les matchs soient joués dans le monde entier, comme un club de foot qui jouerait dans le stade de sa ville. « En Europe, la France est l’un des plus gros marchés pour l’e-sport, elle produit de grands joueurs et les fans sont vraiment passionnés », poursuit-il.

« Je commentais les matchs depuis ma chambre et Blizzard m’a recruté »

Ce tournoi peut-il faire naître des vocations de professionnel ? « Il faut être réaliste, c’est comme un vrai sport, même si tu es meilleur que 99 % des joueurs normaux, tu restes moins bon que 99 % des joueurs professionnels », regrette Grégoire, étudiant de 22 ans venu de Nancy. Harry Legday, commentateur britannique venu à Paris, présente régulièrement les matchs des Contenders, sorte de ligue de deuxième division d’Overwatch. « Je me suis simplement retrouvé à [commenter les matchs] depuis ma chambre, et Blizzard m’a recruté », explique-t-il. Terence Tarlier, tricolore recruté par le club de Los Angeles, reconnaît que des portes sont ouvertes pour les aspirants.

« Sur d’autres jeux, les tournois ne sont pas forcément réglementés par l’éditeur, c’est un peu brouillon et tout le monde fait ce qu’il veut. Blizzard a créé l’Open Division, les Contenders et l’Overwatch League. L’Overwatch League, c’est le top du top ; les Contenders, c’est là où tu joues quand tu as fait tes preuves ; et l’Open Division, c’est là où tout commence, où tu crées ton équipe, joues contre d’autres et c’est comme ça que tu montes. C’est un très bon système. »

« L’e-sport est excitant, parce qu’il est en constante évolution »

Néanmoins, on se demande si Overwatch peut attirer plus de foules à terme. Même pour les initiés, le jeu est parfois trop rapide. Surtout, il est constamment mis à jour et enrichi par les développeurs, quitte à bouleverser les stratégies que tout le monde pensait gagnantes. Nate Nanzer assure que Blizzard fait tout pour simplifier le visionnage des matchs. Pour lui, ce côté changeant de l’e-sport est un avantage :

« Je pense que certains sports luttent parce qu’ils n’évoluent pas et sont joués de la même manière depuis cent ans. L’e-sport est excitant parce qu’il est en constante évolution. »

Terence « Soon » Tarlier reconnaît que les matchs pros sont difficiles à suivre. « Je pense que depuis le début, tout le monde regarde le “kill feed” [le bandeau qui indique quand un héros perd un combat] parce que c’est très dur de savoir ce qu’il se passe », dit-il.

L’engouement, lui, est bien là, et le public espère donner de la voix jusqu’à la finale, pour se sentir encore un peu champion du monde.