100 000 fidèles s’étaient réunis pour écouter le pape François à Kaunas. / JANEK SKARZYNSKI / AFP

Le pape François a choisi dimanche 23 septembre d’évoquer devant 100 000 fidèles catholiques l’extermination des juifs de Lituanie par les nazis, soixante-quinze ans précisément après la liquidation du ghetto de sa capitale Vilnius, appelant la société à être vigilante face à l’antisémitisme.

« Demandons au Seigneur de nous accorder la faculté de discernement pour déceler à temps tout germe d’une attitude pernicieuse, tout soupçon qui pourrait entacher le cœur des générations qui n’ont pas connu ces temps-là », a-t-il dit.

Le souverain pontife a lancé son appel à Kaunas, la deuxième ville de Lituanie, à l’occasion du 75e anniversaire de la liquidation du ghetto de Vilnius, point d’orgue, les 23 et 24 septembre 1943, de deux années d’oppression nazie.

« Chants des sirènes »

« Gardons la mémoire de cette époque », a plaidé le souverain pontife au deuxième jour de son voyage dans les pays baltes, appelant au « discernement afin de découvrir à temps tout nouveau germe de cette attitude pernicieuse, toute atmosphère qui atrophie le cœur des générations qui n’en ont pas fait l’expérience et qui pourraient courir derrière ces chants des sirènes ».

Après la prière de l’Angelus, François a surtout souligné qu’il irait prier dans l’après-midi devant le monument aux victimes du ghetto de Vilnius. « Je réserve, en ces jours, une pensée spéciale à la communauté juive », a-t-il ajouté.

Au cours d’une messe géante, le pape avait auparavant pris le soin aussi d’évoquer les souffrances passées de l’ensemble de la population, sous le joug des nazis, puis sous le régime soviétique, parlant de « la délation » qui a alors eu cours.

« Les générations passées ont été marquées par le temps de l’occupation, l’angoisse de ceux qui étaient déportés, l’incertitude pour ceux qui ne revenaient pas, la honte de la délation, de la trahison », a-t-il dit. « Kaunas connaît cette réalité, la Lituanie entière peut en témoigner avec un frisson au seul fait de nommer la Sibérie, ou les ghettos de Vilnius et de Kaunas ».

Précisément au même moment, une vingtaine de juifs réunis dans la synagogue de Vilnius, à cent kilomètres de là, égrenaient tristement le nom de certains survivants du ghetto, où 70 000 personnes trouvèrent la mort.

Dans la foule dimanche à Kaunas, l’heure était aussi à l’émotion pour les catholiques face au pape qui s’est déplacé jusqu’à la périphérie nord-est de l’UE, dans leur petit pays de moins de 2,9 millions d’habitants, en majorité catholiques. « Il nous amène de l’espoir. Quel espoir ? Celui d’un lendemain meilleur », a glissé Edyta, une femme de 30 ans de Kaunas.

« Jérusalem du nord »

Appelés Litvaks, les juifs lituaniens formaient, jusque dans les années 1940, une communauté dynamique de plus de 200 000 membres, qui ont fait fleurir la littérature yiddish et la vie religieuse. De nombreux responsables politiques, tel l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak, hommes de la culture comme l’écrivain Amos Oz, artistes et entrepreneurs ont des racines lituaniennes.

Les nazis ont procédé – avec un certain nombre de collaborateurs lituaniens – à l’extermination quasi-totale des juifs à Vilnius, naguère surnommée la Jérusalem du Nord en raison de la forte présence de cette communauté.

Les rares survivants ont été souvent aidés par des Lituaniens dont plus de 800 se sont vus décerner le titre de Justes parmi les nations du monde par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem.

Aujourd’hui, les Juifs ne sont qu’environ 3 000 en Lituanie.

Occupations nazie et soviétique

Quand ils évoquent la Deuxième Guerre mondiale, les Lituaniens utilisent le pluriel pour parler de deux occupations : allemande et soviétique.

La police politique de l’URSS, le KGB, avait pris possession de la prison de la Gestapo et l’avait utilisée, entre autres, jusque dans les années 80 pour détenir et interroger des prêtres refusant d’accepter le harcèlement dont le clergé et les croyants étaient les victimes.

Tel Sigitas Tamkevicius, aujourd’hui un archevêque octogénaire. Arrêté en 1983, il a été durement interrogé par les enquêteurs du KGB qui voulaient interrompre à tout prix la rédaction et la diffusion d’un journal clandestin sur les persécutions des catholiques. La « Chronique », passée en fraude en Occident, était alors lue par des radios émettant de l’étranger.

Après l’hommage silencieux aux victimes de l’Holocauste, le pape François devait visiter la cellule de Mgr Tamkevicius dans l’ancienne prison, transformée en musée.