L’« Aquarius » le 16 septembre. / SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »

Déjà à l’origine de deux crises européennes, en juin et en août, le navire humanitaire Aquarius est à nouveau au centre d’un affrontement entre europhiles et nationalistes. Lundi 24 septembre, le bâtiment affrété par les associations SOS-Méditerranée et Médecins sans frontières, qui naviguait au large des côtes libyennes, a demandé à pouvoir faire route vers Marseille, afin d’y débarquer des migrants récupérés ces derniers jours sur des embarcations de fortune.

« Aujourd’hui, nous faisons la demande solennelle et officielle aux autorités françaises » de donner, « de manière humanitaire, l’autorisation de débarquer » les 58 rescapés actuellement sur l’Aquarius, parmi lesquels 17 femmes et 18 mineurs, a déclaré le directeur des opérations de SOS-Méditerranée, Frédéric Penard, lors d’une conférence de presse à Paris. Sollicitées, l’Italie et Malte ont indiqué ne pas vouloir accueillir le navire et lui ont fermé leurs ports, pourtant plus proches.

Fidèle à des principes posés lors d’un conseil européen, les 28 et 29 juin, la France a répondu préférer « chercher une solution européenne » pour répartir les migrants à bord de l’Aquarius, plutôt que de lui ouvrir unilatéralement un de ses ports. « Pour le débarquement, on veut tenir le principe du port sûr le plus proche », indique-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron, où l’on rappelle que la France n’a pas changé de position depuis la première crise : « Débarquement à proximité et répartition solidaire immédiate. »

Campagne contre les populistes

Le sujet représente, à huit mois des élections européennes, un point de clivage permettant aux uns et autres sur la scène poli­tique de faire valoir leurs positions. Sans surprise, le choix du gouvernement a été vivement dénoncé à gauche. « L’Aquarius doit pouvoir accoster à Marseille. C’est notre devoir et notre honneur », a ainsi écrit sur Twitter Jean-Luc Mélenchon, député (LFI) des Bouches-du-Rhône. « On ne laisse pas mourir des êtres humains devant soi au motif que d’autres devraient le faire et que c’est de leur responsabilité ! », a abondé David Assouline, vice-président (PS) du Sénat.

« C’est par la coopération avec nos partenaires européens que nous apporterons une solution. Ne tombons pas dans le piège que certains nous tendent », a au contraire plaidé Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement, lundi soir sur Canal+. En ouvrant un de ses ports, la France craint de créer un précédent et de donner à Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur italien, le prétexte pour ne plus accueillir de bateaux humanitaires. M. Macron veut aussi démontrer que l’UE peut être une solution. Une façon, selon les macronistes, de faire campagne contre les populistes.

Le pavillon d’un bateau, indispensable pour naviguer

Juridiquement, le pavillon désigne la nationalité de rattachement d’un bateau. Cette immatriculation est obligatoire pour lui permettre de naviguer, d’accoster dans un port et d’être identifié en cas de problème.

En haute mer, un navire relève exclusivement des autorités de son pavillon. Mais il est soumis à la loi de l’Etat du port ou du pays dans lequel il se trouve lorsqu’il est dans ses eaux territoriales (jusqu’à 12 milles de ses côtes). L’Aquarius ne navigue en revanche que dans les eaux internationales.

Sans pavillon, le navire est contraint de rester où il se trouve. Il devient une sorte de bateau fantôme ou bateau pirate, interdit de prendre la mer.

Martingale gagnante

Les dirigeants du parti Les Républicains (LR), de leur côté, ont maintenu leur ligne dure : pas question d’accueillir le moindre migrant en France. « La France et l’Europe n’ont pas de leçon à recevoir en termes d’accueil de réfugiés, a estimé l’ancien ministre de l’intérieur Brice Hortefeux, conseiller spécial du président de LR, Laurent Wauquiez. Puisque l’Espagne a une politique qui l’encourage à accepter, eh bien qu’ils prennent donc la route de l’Espagne ! » Un avis partagé par le député LR des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, pour qui « aucun port français ne doit devenir Lampedusa ».

Cette fermeté absolue constitue la ligne directrice du parti de droite en vue des européennes. Une manière d’essayer de se rendre audible entre La République en marche et le Rassemblement national (RN), dans ce match « progressistes » contre « nationalistes » que le président de la République cherche à imposer. Un responsable de LR résume ce qu’il pense être la martingale gagnante du parti : « Nous sommes pour l’Europe et contre l’immigration. Emmanuel Macron est pour l’Europe et pour l’immigration. Le RN est contre l’Europe et contre l’immigration. » Raison pour laquelle M. Wauquiez tient à ne pas se couper du premier ministre hongrois, Viktor Orban, chantre de l’illibéralisme et champion revendiqué de la lutte contre l’immigration.

Pas plus de surprise du côté de Marine Le Pen : « Non et non ! L’Aquarius ne doit pas accoster à Marseille », a harangué sur Twitter la présidente du Rassemblement national. Pour Philippe Olivier, le conseiller spécial de la figure de proue du parti d’extrême-droite, le scrutin des européennes va se résumer à « un référendum pour ou contre l’immigration ».

Marine Le Pen avait fait de l’immigration l’axe majeur de son discours de rentrée à Fréjus (Var), le 16 septembre, avec un modèle « ami » assumé : la politique anti-migrants de Matteo Salvini. Dénonçant « la soumission à Bruxelles et à sa folle politique immigrationniste », la présidente du RN avait lancé face à une salle bleu-blanc-rouge conquise : « C’est peu de dire qu’avec nous la politique migratoire changera et c’est le grand enjeu des européennes. » Et d’ajouter, alors que le bateau n’a encore jamais débarqué de migrants sur les côtes françaises : « Avec nous, l’Aquarius n’accostera plus sur les côtes françaises. »

Pascal Brice, de l’Ofpra : « L’Italie doit accepter les navires de migrants dans ses ports »
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