Manuel Valls, à Barcelone, en mars 2018. / PAU BARRENA / AFP

Manuel Valls a confirmé, mardi 25 septembre, sa candidature aux élections municipales de Barcelone du 26 mai 2019. Dans le minuscule auditorium du Centre de culture contemporaine de Barcelone, plein à craquer, l’ancien premier ministre français né dans la cité catalane a déclaré qu’« après un temps serieux de réflexion, j’ai pris une décision : je veux être le prochain maire de Barcelone ».

Depuis que l’idée de se présenter à la mairie de la capitale catalane lui a été soufflée par des membres de la plate-forme unioniste Société civile catalane, en décembre 2017, le député de l’Essonne a mûri cette possibilité qui semblait alors un brin excentrique, voire surréaliste. Rapidement, le parti unioniste et libéral Ciudadanos, qui n’avait cessé de le courtiser et obtenu sa présence lors de meetings politiques ou de manifestations anti-indépendantistes, s’est convaincu qu’il franchirait le pas sous ses couleurs.

Mais Manuel Valls les a pris à contre-pied en annonçant son intention d’être à la tête d’un mouvement ample et sur-mesure, qui s’affranchit du contrôle de Ciudadanos sans renoncer à son soutien et son réseau, pour mieux puiser dans l’électorat socialiste et catalaniste et compter sur des représentants de la société civile.

Se présenter sous la bannière de Ciudadanos aurait bridé ses perspectives électorales, même si le parti est arrivé en tête des dernières élections régionales avec 25 % des suffrages. Aucun des principaux dirigeants de Ciudadanos n’a assisté au lancement de sa candidature mardi, acceptant à contrecœur de lui laisser toute son autonomie politique. « La situation que nous vivons en Catalogne et à Barcelone est extraordinaire et mérite que nous puissions tous faire un exercice de générosité pour essayer de gagner Barcelone », a expliqué la chef de file du parti dans la région, Inès Arrimadas.

« Parachutage »

Pour Manuel Valls, la voie est étroite pour l’emporter à Barcelone où, à la division entre la gauche et la droite, s’ajoute celle entre indépendantistes unionistes. Le scrutin proportionnel à un tour rend toute projection, même basée sur des sondages, incertaine. Il lui faudrait d’abord compter sur la fragmentation de l’échiquier politique pour espérer qu’aucune alliance – ni entre partis indépendantistes ni entre partis de gauche – ne rassemble la majorité absolue des sièges de conseillers municipaux. Il lui faudrait ensuite arriver en tête afin de pouvoir se contenter d’une majorité simple, comme l’a fait en 2015 l’actuelle maire de Barcelone, Ada Colau, qui gouverne en minorité avec seulement 11 des 41 sièges municipaux, sous les couleurs de la formation proche de Podemos, Barcelone en commun.

Il est impossible pour l’instant de mesurer les chances de l’ancien premier ministre, dont le projet pour la ville n’a pas encore été esquissé. Mais la nervosité est visible chez ses rivaux qui critiquent sa méconnaissance de la cité catalane, où il n’a jamais vécu, son « parachutage » ou son discours contre la tentative de sécession de la Catalogne en octobre 2017, qui pousserait à la « confrontation » entre indépendantistes et non-indépendantistes.

« Barcelone n’est pas une ville qui se laisse utiliser pour des objectifs personnels ou autre que son propre développement, résume avec acidité l’indépendantiste Ernest Maragall, candidat de la gauche républicaine catalane. Pour le moment, il semble que Manuel Valls soit surtout intéressé par le financement de sa campagne et qu’il pense pouvoir acheter la ville. » Frère de Pascual Maragall, charismatique maire de Barcelone entre 1982 et 1997, et l’un des favoris du scrutin, il reconnaît cependant que l’ancien ministre de l’intérieur sera un « adversaire difficile ». « Manuel Valls ne connaît pas Barcelone et n’est pas connu à Barcelone », a ironisé pour sa part l’ancien président catalan, Carles Puigdemont. Pour savoir qui il est, « il est suffisant de voir quelle est l’opinion de ses compatriotes français », a-t-il insisté.

« Un jouet cassé de la politique française »

GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

L’actuelle maire, Ada Colau, n’est pas plus tendre. Elle a fustigé publiquement les « positions réactionnaires, notamment sur le sujet de l’immigration » de M. Valls et insisté sur le fait que « les Barcelonais veulent quelqu’un de leur ville, qui vive leur ville et non pas qui vient de l’extérieur ». Quant au candidat du Parti socialiste catalan (PSC) à la mairie de Barcelone, Jaume Collboni, il juge la candidature du député comme une tentative de se remettre d’une « carrière politique frustrée ».

M. Valls devra aussi surmonter les attaques virulentes des médias souverainistes qui n’ont pas digéré sa prise de position ferme contre la tentative de sécession de la Catalogne et ses critiques contre le « populisme » indépendantiste. Sans compter les critiques de la gauche alternative qui rappelle la polémique autour de l’expulsion de la jeune Kosovare Leonarda Dibrani, en 2013, insistant sur son profil « autoritaire » et ses propos durs sur l’islam.

Alors que sa candidature se précisait, les pro et anti-Valls ont commencé à aiguiser leurs arguments. Le journaliste Joaquin Luna a pris la défense de sa candidature dans le quotidien catalan La Vanguardia, le 23 septembre, estimant que « ce ne sont pas seulement les quartiers riches de Barcelone qui réclament un profil sérieux, une dimension entrepreneuriale et une récupération du bon sens comme le propose Valls », soulignant le besoin « d’ordre » dans la ville, où les questions sécuritaires agitent le débat public.

A contrario, dans le quotidien El Pais du 21 septembre, le politologue et philosophe Josep Ramoneda l’a défini comme « un jouet cassé de la politique française » qui n’obtiendra « au mieux que la condition de chef de l’opposition municipale ». Et d’assurer que si « dans un premier temps, il est parvenu à fasciner certains secteurs des élites catalanes, (…) depuis quelques mois, peut-être lié au fruit de l’arrogance qui accompagne le personnage, la fascination a chuté ».

Pour Manuel Valls, qui entend incarner l’idée européenne en misant sur la nouveauté que représente la mobilité d’un leader politique issu d’un autre pays de l’Union européenne, la conquête de Barcelone ne fait que commencer.