Arte, mercredi 26 septembre à 22 h 30, documentaire

Une épitaphe à l’image d’un parcours et d’une invention sans égal : « Là-bas gît/ Blaise Cendrars/ Par latitude zéro/ Deux ou trois dixièmes sud/ Une, deux, trois douzaines de degrés/ Longitude ouest/ Dans le ventre d’un cachalot/ Dans un grand cuveau d’indigo. » C’est l’écrivain lui-même qui l’a composée et livrée bien avant sa disparition en janvier 1961. Imagée et fulgurante, elle dit le parcours atypique et l’écriture flamboyante, où tous les genres se conjuguent, comme les curiosités, au nom d’un goût de l’aventure d’une juvénilité inentamée.

Né citoyen suisse en 1887, Frédéric Louis Sauser se choisit un nom de phénix, évoquant les braises et les cendres, pour signer Les Pâques, son premier poème, rédigé d’un seul trait dans la nuit new-yorkaise, en avril 1912, cri de désespoir, appel de naufragé au moment même où sombre le Titanic. Blaise Cendrars, donc.

Car c’est bien l’invention qui est au cœur de sa vie. Qu’il imagine des Poèmes élastiques ou enchante la Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France. Qu’il s’adonne à la peinture, lui qu’éblouit l’éclat solaire de Robert et Sonia Delaunay, lui qui fréquente Chagall, Cocteau et Max Jacob, pose pour Modigliani et se lie à jamais d’amitié avec Fernand Léger, ou pige pour le cinéma dans le sillage d’Abel Gance, Cendrars s’essaie à tout ce qui est neuf, chantre d’une modernité aussi bien formelle que technicienne.

Une écriture de soi singulière

L’avion, l’acier, l’automobile, mais aussi le roman populaire – c’est lui qui milite auprès de ses amis pour la reconnaissance de Fantômas –, tout l’enthousiasme et s’il lui arrive de se lasser d’un milieu dont il perçoit les conventions, il s’échappe, s’évade, pour retrouver ailleurs la flamme juvénile qui le consume et l’alimente tout à la fois. Ce sera Munich, Moscou et l’appel de la Sibérie, plus tard New York, par amour, plus durablement le Brésil, à plusieurs reprises, puis l’Afrique, après la cruelle expérience de la Grande Guerre. Engagé volontaire dans l’armée française, ce qui lui vaut sa naturalisation, il perd au feu à l’automne 1915 le bras droit, d’où pour le poète la première expérience de la prose, si délicate qu’il faudra près de trente ans pour qu’il ne livre La Main coupée (1946).

La deuxième guerre mondiale le mobilise encore, correspondant de guerre pour l’armée anglaise en 1939. Retiré ensuite à Aix-en-Provence, Cendrars s’y consacre à une écriture de soi toujours résolument singulière avec une tétralogie (L’Homme foudroyé, La Main coupée, Bourlinguer et Le Lotissement du ciel) qui compose de son propre aveu des « mémoires qui sont des mémoires sans être des mémoires ». Il reprend également en recueil ses poèmes (Du monde entier au cœur du monde, Denoël, 1957) et fait la connaissance d’un jeune photographe, Robert Doisneau avec lequel, sympathie oblige, il signe La Banlieue de Paris (Seghers, 1949), qui révèle le jeune artiste.

D’une élégance et d’une justesse rares, le documentaire de Jean-Michel Meurice sait tout à la fois retracer un parcours biographique singulier, souligner la profonde originalité du geste créateur de Cendrars, sertir le tout dans un habillage visuel et sonore exemplaire par la qualité des images et la pertinence des choix. Chantre de la « beauté nouvelle » dont il célébra toutes les audaces, Cendras méritait cet éloge d’une écriture fervente sans démesure. Trois mois après la disparition de sa fille Miriam, à l’âge de 98 ans, ce chant d’amour vaut « tombeau », au sens où les classiques l’entendaient.

Blaise Cendrars - Comme un roman, de Jean-Michel Meurice (France, 2017, 52 minutes).