Des patients atteints de tuberculose, portant des masques pour éviter la contagion, à l’hôpital de Chiulo, dans le sud-ouest de l’Angola, en février 2018. / Stephen Eisenhammer/REUTERS

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) tire de nouveau le signal d’alarme, dans un appel à renforcer les efforts globaux contre la tuberculose. Mais, pour la première fois, elle le fait à l’occasion d’un sommet de grande ampleur sur cette pandémie, mercredi 26 septembre à New York, dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies. Une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement devaient y participer.

Il y a urgence, répètent les experts. La tuberculose tue plus que le sida. En 2017, elle a causé la mort de 1,6 million de personnes à travers le monde, dont 300 000 étaient coinfectées par le VIH, révèle l’OMS. Le nombre global de nouveaux malades ne baisse que de 2 % par an. Une broutille au regard de cet objectif de développement durable (ODD) fixé par l’ONU : mettre fin à la tuberculose d’ici à 2030.

« En 1993, l’OMS avait déclaré que la tuberculose constituait une urgence sanitaire mondiale. Et pourtant, après toutes ces années, 10 millions de personnes développent chaque année la maladie. La réponse mondiale stagne », déplore Paul Jensen, de l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires. Les deux tiers des nouveaux cas sont diagnostiqués dans huit pays : l’Inde (27 %), la Chine (9 %), l’Indonésie (8 %), les Philippines (6 %), le Pakistan (5 %), le Nigeria (4 %), le Bangladesh (4 %) et l’Afrique du Sud (3 %), a aussi révélé l’OMS le 18 septembre, dans son rapport annuel sur la lutte contre cette maladie.

Risque de transmission

Depuis 2000, le nombre de décès dus à la tuberculose a certes baissé de 29 % dans la population non infectée par le VIH, et de 44 % chez les personnes vivant avec. « Diagnostic et traitement ont permis de sauver 53 millions de vies entre 2000 et 2016 », note l’OMS. Certains pays ont remporté des victoires. En Afrique par exemple, l’Ethiopie et l’Ouganda étaient en 2015 les Etats les mieux classés du continent sur trois ODD, pour être parvenus à réduire de moitié le taux de prévalence et le taux de mortalité liés à la tuberculose par rapport à 1990.

Mais la lutte contre ce fléau continue d’achopper sur trois grands obstacles : le dépistage des personnes malades, la prise en charge des tuberculoses résistantes aux traitements antibiotiques habituels et la prévention.

Parmi les 10 millions de personnes ayant contracté la maladie en 2017, deux tiers seulement se le sont vu officiellement notifier et aucun diagnostic n’a été établi ou déclaré pour le tiers restant. Or « un diagnostic tardif retarde la mise sous traitement, conduit à un moins bon pronostic et accroît le risque de transmission », se désole Médecins sans frontières (MSF). Non traitées, les personnes infectées vont contaminer leur entourage. Pour promouvoir leur dépistage, « il faut disposer de plus de ressources humaines pour les atteindre, mais aussi faire de la prévention, sensibiliser les communautés. Cette solution est peu chère et efficace », explique Evelyne Kibuchi, directrice de l’ONG Stop TB au Kenya.

La moitié seulement des 920 000 individus coinfectés par la tuberculose et le VIH ont été informés de leur situation en 2017. « Les trois quarts des personnes coinfectées vivent en Afrique. Or les médecins qui s’occupent du VIH leur proposent rarement un diagnostic de la tuberculose », regrette Paula Fujiwara, directrice scientifique de l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires.

« Si la mortalité par tuberculose montre des signes de déclin, cette maladie reste la principale cause de décès en Afrique du Sud, souligne le docteur Amir Shroufi, coordinateur médical de MSF en Afrique australe. Les liens intimes entre les épidémies de VIH et de tuberculose soulignent l’importance d’une meilleure intégration des futures réponses des systèmes de santé à ces deux maladies. »

« Besoin de traitements plus courts »

L’enjeu est aussi technologique : il s’agit de développer des outils diagnostiques toujours plus rapides, plus simples et nécessitant moins d’infrastructures, notamment pour dépister l’infection chez les jeunes enfants. Chez l’adulte, la détection est réalisée à partir de crachat. Mais les jeunes enfants ont du mal à expectorer. Comment, dès lors, révéler l’épidémie silencieuse de tuberculose infantile ?

Autre vive inquiétude : « Nous sommes aux prises avec une crise sanitaire due à la résistance aux antituberculeux », résume Paul Jensen. En 2017, 558 000 personnes à travers le monde ont contracté une forme de tuberculose résistante au moins à l’antituberculeux de première intention le plus efficace, la rifampicine. L’immense majorité (82 %) était atteinte d’une tuberculose multirésistante, c’est-à-dire résistant à la fois à la rifampicine et à l’isoniazide – un autre antituberculeux essentiel. Trois pays concentrent la moitié des cas mondiaux de tuberculose multirésistante : l’Inde, la Chine et la Russie.

Pour autant, un quart seulement des personnes en étant atteintes ont bénéficié d’un traitement de deuxième intention. Et chez celles-ci, la mortalité reste très élevée (45 %), « souvent en raison de la toxicité des médicaments, qui empêche les patients de poursuivre leur traitement », note l’OMS. « Nous avons besoin de traitements plus simples, plus courts et moins toxiques », souligne Paula Fujiwara.

Le protocole standard actuel pour ces formes multirésistantes dure de vingt à vingt-quatre mois, ce qui conduit souvent à son abandon. Depuis deux ou trois ans, des traitements plus courts (neuf à douze mois) sont apparus : ils se sont montrés efficaces dans neuf pays d’Afrique francophone. « C’est un grand progrès, se réjouit le docteur Nicolas Véziris, de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Actuellement, une dizaine d’essais cliniques rigoureux sont en cours pour définir les meilleurs protocoles de traitement. Dans les cinq ans à venir, on en saura plus. »

Un quart de la population mondiale infecté

En août, l’OMS a publié ses prérecommandations sur le traitement de ces tuberculoses multirésistantes. La bonne nouvelle : certains antibiotiques, moins efficaces, ont été rétrogradés. « Cela va restreindre leur utilisation, qui était une énorme contrainte », relève Nicolas Véziris. Et devrait permettre de sauver plus de vies, espère l’OMS, qui assure « collaborer avec les pays et ses partenaires ».

Quant à la prévention, elle « n’existe que sur le papier », déplore Paul Jensen, de l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires. « Le traitement préventif peut empêcher de développer la maladie, mais, dans la plupart des pays, lorsqu’une personne est diagnostiquée, le système de santé ne prévoit aucune enquête systématique pour vérifier si les autres membres du foyer ont bénéficié d’un dépistage. » Alors que près d’un quart de la population mondiale est infecté par le bacille de la tuberculose, seules 103 000 personnes de plus de 5 ans exposées dans leur foyer ont reçu un traitement préventif à base d’antibiotiques en 2017. « Il s’agit d’une question de droits de l’homme ! », s’emporte M. Jensen.

Financement : le nerf de la guerre

L’un des impératifs les plus urgents, selon l’OMS, est d’accroître le financement. « En 2018, les investissements consacrés à la prévention de la tuberculose et aux soins antituberculeux dans les pays à revenu faible ou intermédiaire étaient inférieurs de 3,5 milliards de dollars [environ 3 milliards d’euros] aux besoins réels », relève l’organisation. Le budget mondial destiné à la recherche, lui, stagne depuis cinq ans. De plus, les contributions des pays les plus riches sont en baisse, pointe Paul Jensen, de l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires.

Mais les pays les plus affectés doivent, eux aussi, renforcer leur engagement. A l’image de l’Inde, dont le premier ministre, Narendra Modi, a annoncé en mars 2018 le doublement du budget alloué à la tuberculose pour 2017-2018. Son objectif : viser « la fin de la tuberculose en Inde d’ici à 2025 » – en avance de cinq ans sur l’objectif mondial.

Mais, au-delà du volet médical, il ne faut pas oublier que la tuberculose est avant tout une maladie de la pauvreté. Le premier défi consiste donc à s’attaquer à ses causes socio-économiques : logements insalubres et mal ventilés, malnutrition, faible accès aux services de santé et à l’éducation.

Le Monde Afrique propose une série de reportages, de portraits et d’entretiens pour raconter la lutte contre la tuberculose sur le continent.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.