Un chantier du Grand Paris Express à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), en février. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

Difficile d’économiser 3 milliards d’euros sans susciter colère et inquiétude. Le nouveau président du directoire de la Société du Grand Paris (SGP), Thierry Dallard, nommé en juin, commence à en faire l’expérience. L’ingénieur a été chargé par le gouvernement de mener à bien la réalisation de ce réseau de 200 kilomètres de lignes de métro, 68 gares et 7 centres techniques, en allégeant de près de 10 % une facture prévisionnelle qui a enflé jusqu’à atteindre 35 milliards d’euros. Il lui a suffi d’une déclaration imprudente lors de sa conférence de presse de rentrée, mardi 25 septembre, pour déclencher un incendie parmi les élus d’Ile-de-France.

En cause : la réalisation de coûteux équipements techniques permettant l’interconnexion à Champigny (Val-de-Marne) de deux lignes du futur métro, la 15 Sud et la 15 Est. Pour éviter aux passagers de devoir descendre sur le quai et de changer de train, deux énormes « ouvrages d’entonnement » souterrains sont prévus, permettant à une partie des rames de poursuivre sur la ligne suivante et non de s’arrêter au terminus. La facture : 200 millions d’euros pour chaque ouvrage, 400 millions d’euros au total, selon des chiffres souvent avancés, mais non confirmés par la SGP.

« Nous nous interrogeons sur la nécessité de faire cette interopérabilité. (...) L’expérience montre dans les lignes actuelles que ce type de fourche ne fonctionne pas très bien », expliquait Thierry Dallard le 25 septembre, aussitôt cité dans un article du Parisien. Emoi considérable chez les élus du département : cette interconnexion a été arrachée de haute lutte, en 2013, par les partisans d’un métro circulaire en rocade, contre ceux qui défendaient une ligne en simple aller-retour.

Le syndicat des transports Ile-de-France Mobilités a immédiatement adressé un courrier à la Société du Grand Paris, rappelant son attachement à l’interopérabilité. Le président (PCF) du Val-de-Marne, Christian Favier, et le maire (PCF) de Champigny, Christian Fautré, ont publié un communiqué jugeant ce revirement « inadmissible » pour les élus, les habitants et les deniers publics. Ils appellent à une mobilisation populaire, mardi 2 octobre, à Champigny.

« Transparence » et « large consensus »

Depuis, Thierry Dallard s’attache à minimiser la portée de ses propos : « A ce stade, aucune décision n’est prise. L’arbitrage de 2013 sur l’interopérabilité est toujours d’actualité, assure-t-il au Monde. Mais ma mission, c’est de réinterroger tout le dossier, d’apprécier les risques sur les délais et les coûts et de m’assurer qu’il n’y aura pas de problème d’exploitation et de fonctionnement. Or une ligne en fourche, c’est compliqué, ça a des conséquences en termes de coût et d’exploitation, dont je ne suis pas sûr que tout le monde mesure la complexité. » Pour autant, promet le président du directoire, toute décision sera prise dans la « transparence » et « un large consensus ».

L’incompréhension est d’autant plus vive localement que le chantier du premier ouvrage est en cours depuis mars 2015 – la ligne 15 Sud est la première lancée. Commerces et riverains ont été expropriés, une immense tranchée déchire l’avenue Roger-Salengro, les nuisances sont considérables. Tout ça pour rien ? « Le premier ouvrage n’est pas remis en cause, il sert aussi à faire entrer le tunnelier, à la ventilation, à la gestion des secours... En revanche, il faut se poser ensemble les bonnes questions avant de lancer le deuxième », explique M. Dallard.

Problème : la remise en cause de l’interconnexion pourrait avoir des conséquences plus fâcheuses qu’un simple changement de train pour les passagers. « Cela obligerait à reprendre la déclaration d’utilité publique de la ligne 15 Est, soit un an et demi ou deux ans de retard, ce qui serait une remise en cause catastrophique de la ligne », estime Jacques Baudrier, conseiller (PCF) de Paris et administrateur d’Ile-de-France Mobilités.

Maladresse d’un dirigeant peu rompu aux conférences de presse ou précipitation d’un ingénieur qui a sous-estimé la sensibilité politique de ce chantier ? M. Dallard a jusqu’ici assuré que les économies recherchées seraient réalisées grâce à « une somme de petites choses », la SGP travaillant sur « 1 200 pistes ». Remplacer des fils de cuivre par de l’aluminium par exemple, ou revoir l’évacuation et la valorisation des déchets de chantier. Chacun pressent toutefois que des mesures plus draconiennes pourraient intervenir, sur l’architecture des gares ou les ouvrages techniques. Or pour les élus locaux, en conflit ouvert avec la Société du Grand Paris après s’être vu imposer par l’Etat des retards sur la mise en service de plusieurs lignes, toute nouvelle concession apparaît désormais comme un casus belli.