Tribune. Depuis dimanche 23 septembre, l’Aquarius a perdu son pavillon. Le navire humanitaire affrété par les deux ONG, Médecins sans frontières (MSF) et SOS Méditerranée n’aura donc plus le droit de circuler en mer. S’il n’obtient pas un autre pavillon, il ne sera plus autorisé à remplir sa mission : sauver des hommes, des femmes et des enfants qui se noient.

Rappelons que l’obligation de prêter assistance aux personnes en situation de détresse en mer n’est pas une œuvre de bienfaisance : c’est une obligation légale définie par plusieurs traités internationaux sur le droit de la mer dont au moins quatre conventions des Nations unies.

Pour mémoire, la Convention des Nations unies de 1982 sur le droit de la mer, la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, la Convention Internationale de 1989 sur l’assistance, celle de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes et les directives du Comité maritime de sécurité (MSC) de l’Organisation maritime internationale (IMO) de 2006.

Un prétexte juridique fallacieux

Ces conventions s’imposent donc à l’ensemble des pays européens et des pays membres de l’ONU. En retirant son pavillon à l’Aquarius, le Panama s’est rendu coupable de complicité de non-assistance à personne en danger puisqu’il prive l’Aquarius du droit de remplir une obligation supérieure consacrée par le droit des traités internationaux.

Pourquoi le Panama a-t-il retiré à l’Aquarius son pavillon ? Parce que l’Italie de Salvini s’est plainte de ce que « le navire a refusé de ramener les migrants et réfugiés secourus à leur lieu d’origine ». Or, le droit international ne prévoit pas une reconduite des personnes secourues dans leur lieu d’origine mais bien au contraire un débarquement dans un lieu protégé pour préserver les survivants.

En effet, prendre des personnes à bord dans le cadre d’une opération de sauvetage ne consiste pas à savoir si parmi les survivants il y a des personnes susceptibles d’obtenir une protection internationale au titre du droit d’asile. Un bateau n‘est pas un espace approprié pour examiner une demande d’asile et un capitaine n’est pas formé pour ce faire. Cette obligation relève uniquement des autorités étatiques.

Donc la responsabilité unique de l’Aquarius c’est le sauvetage en mer et c’est le débarquement des survivants dans un « lieu sûr » c’est-à-dire un endroit où la vie des survivants n’est plus en danger, où tous leurs besoins fondamentaux seront satisfaits : eau, alimentation, hébergement et assistance médicale. L’Aquarius n’était donc nullement en situation irrégulière : ce prétexte juridique est fallacieux. Il montre que le débat n’est pas, hélas, de nature juridique mais éminemment politique. Le droit est utilisé contre lui-même pour justifier une décision politique inique : abandonner des naufragés en mer.

Allons-nous continuer à regarder ailleurs ?

La décision du Panama n’est pas surprenante. Que peut-on attendre d’un paradis fiscal qui abrite les circuits financiers mafieux les plus occultes ? Le silence des pays européens, et de la France en particulier, l’est nettement plus.

Aujourd’hui, personne n’a proposé à l’Aquarius de lui octroyer un pavillon. Or, ne pas donner à l’Aquarius un nouveau pavillon, c’est accepter de laisser mourir sous nos yeux les naufragés ; c’est violer les conventions internationales, c’est se rendre coupable du crime de non-assistance à personne en danger. C’est trahir ce que nous furent, quand nos ancêtres se battaient pour les droits de l’homme et pour la protection des plus fragiles.

Au moins 3 120 migrants sont morts en 2017 en tentant de passer en Europe via l’une des trois principales routes de la Méditerranée, et les passages les plus dangereux sont ceux qui transitent par la Libye. Il est loin le temps où la France pleurait à l’image du corps sans vie du petit Aylan, bébé de trois ans échoué sur les côtes méditerranéennes. Pourtant, c’était il y a trois ans à peine. Que sommes-nous devenus ? Qui sommes-nous en train de devenir ? Allons-nous continuer à regarder ailleurs ? Jusqu’à quand pourrons-nous supporter l’inertie de ceux des gouvernements européens qui se réfugient derrière la montée du nationalisme pour justifier la plus indécente des couardises ?

Qui mieux que la France peut aujourd’hui prendre l’initiative d’un soutien aux opérations de sauvetages des naufragés ?

La France vient de déclarer qu’elle prendrait sa part des cinquante-huit réfugiés présents sur l’Aquarius qui a accosté à Malte. C’est déjà ça, mais il faut aller plus loin.

Nous devons être précurseurs et visionnaires

La France doit donc accorder son pavillon à l’Aquarius. Elle doit d’autant plus le faire qu’elle ne dispose pas d’une marine nationale, et encore moins européenne, dédiée au sauvetage des naufragés en mer. Octroyer son pavillon à l’Aquarius ne mettra aucune obligation supplémentaire à la charge de la France et ne fera pas d’elle la seule responsable de l’accueil des naufragés.

En revanche, sur le terrain politique et pour l’avenir, cela la positionnera à l’avant-garde du progressisme en Europe pour impulser un accord de partage des migrants naufragés avec ses principaux partenaires européens. Et à ceux qui craignent la « submersion », rappelons les chiffres : depuis 2015, le nombre de réfugiés accueillis par sauvetage en mer en Europe ne dépasse pas quelques milliers !

Il est grand temps que le noyau dur des pays européens avec lesquels nous partageons l’essentiel se constitue et se renforce. Si nous ne sommes plus capables de trouver, avec nos partenaires européens, les moyens d’accueillir les quelques milliers de réfugiés alors nous ne sommes même plus à la hauteur de notre histoire et de notre identité européenne.

Nous sommes historiquement la patrie des droits de l’homme, celle du siècle des Lumières. Nous ne sommes pas seuls : l’Espagne, le Portugal et l’Allemagne sont de notre côté. Dans l’obscurité qui vient, nous devons être précurseurs et visionnaires, pour défendre l’essentiel avant qu’il ne soit trop tard.

Les signataires : Juliette Méadel, ancienne ministre, enseignante à Science Po ; François Héran, professeur au Collège de France ; Philippe Aghion, professeur au Collège de France ; Daniel Cohn-Bendit ; Pierre Rosanvallon, professeur au collège de France ; Barbara Pompili, députée LRM de la Somme ; Caroline Fourest, essayiste-réalisatrice ; Olivier Duhamel, professeur émérite à Science Po ; Romain Goupil, cinéaste ; Alain Madelin, ancien ministre, économiste ; Sébastien Nadot, député LRM de Haute-Garonne ; Philippe Lelièvre, metteur en scène et comédien ; Pierre-Michel Menger, professeur au Collège de France ; Arnaud Poissonnier, expert « Le financement participatif pour entreprise » ; Yves Blein, député LRM du Rhône ; Julien Sérignac, magistrat ; Hugo Saada, expert en relations internationales ; Isabelle Lefort, professeur à Science Po ; Florence Bonetti, conseil en stratégie et Communication.