Le golfeur anglais Ian Poulter, à l’entraînement au Golf national de Saint-Quentin-en-Yvelines, mardi 25 septembre. / CARL RECINE / REUTERS

« Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant “l’Europe !”, “l’Europe !”, “l’Europe !”, mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. » Un demi-siècle après le discours télévisé du général de Gaulle, l’Europe existera bel et bien sur le parcours du Golf national de Saint-Quentin-en-Yvelines, du vendredi 28 au dimanche 30 septembre. C’est même la grande particularité de la Ryder Cup, rendez-vous bisannuel que la France accueille pour la première fois en 42 éditions.

L’Europe défie les Etats-Unis : sans armes ni violence, mais avec un bon fer en main ou un putter. Plutôt que de représenter chacun leur pays, voilà les douze meilleurs golfeurs du continent réunis sous la même bannière, aussi nombreux que les étoiles de leur drapeau bleu, le hasard faisant bien les choses.

Cette année encore, la plus prestigieuse compétition de golf par équipes donnera à voir une autre Europe que celle de l’Union européenne, cette institution que le Royaume-Uni s’apprête à quitter depuis son référendum de 2016.

Sur le parcours du Golf national de Guyancourt (Yvelines), aucun Brexit dans l’immédiat : six des douze Européens viennent d’Angleterre et d’Irlande du Nord. MM. Rose, Hatton, Fleetwood, McIlroy, Casey et Poulter s’apprêtent à faire cause commune avec deux Espagnols (Garcia et Rahm), deux Suédois (Stenson et Noren), un Danois (Olesen) et un Italien (Molinari) – l’ensemble étant supervisé par un autre Danois, le capitaine Thomas Björn.

« Spectacle dément »

Vainqueur de l’édition 2004, et désormais consultant pour la télévision, le Français Thomas Levet a déjà hâte de retrouver la « magie de cette compétition sans équivalent » et ces instants où « un téléspectateur espagnol se met soudain à encourager un golfeur suédois comme s’il soutenait l’un des siens, écrit l’ancien participant dans la préface de Ryder Cup, l’histoire intégrale de la plus grande compétition de golf (éditions Marabout, 2018, 272 pages), du journaliste Nick Callow. L’Europe, qui paraît être parfois une fiction politique ou une chimère économique, devient d’un seul coup une réalité de chair et d’os sublimée par la grâce de 12 hommes et d’un capitaine unis par le même objectif : la conquête de ce trophée doré ».

Au Monde, et cette fois à l’oral, Thomas Levet poursuit ses explications. Le sportif insiste sur l’engouement autour de la compétition, si particulier par rapport à l’ambiance feutrée d’autres rendez-vous golfiques : « Je me souviens surtout du bruit de la foule, de ses encouragements sur le parcours qui donnent l’impression de vivre une finale de Ligue des champions [en football], sauf qu’au lieu de durer une heure et demie, ça dure plusieurs jours ! »

Sans compter les entraînements antérieurs, le Golf national devrait accueillir au moins 51 000 spectateurs pour chacun des trois jours de compétition. Dont un bon tiers de Britanniques, selon les organisateurs.

Pour Thomas Levet, ce « spectacle dément » s’explique par la dimension collective de l’événement, une rareté pour des golfeurs surtout habitués à jouer chacun pour soi. « Ici, le public peut se lâcher, il peut prendre parti pour une équipe ou une autre. L’année de ma participation, quand on a gagné, les gens ont arraché nos vêtements, les chaussures, les casquettes, et ainsi de suite, tout partait dans le public. »

« Chez nous, personne ne parle de politique »

Un autre détail acoustique a son importance. La compétition réunit les golfeurs au son de l’Ode à la joie, de Beethoven, que le Conseil de l’Europe a adopté comme hymne depuis le début des années 1970. « Quelque chose de sympa, de différent, mais de moins marquant qu’une Marseillaise. »

Certes, Thomas Levet concède « une fierté d’avoir représenté l’Europe ». Mais refuse d’extrapoler. « Chez nous, personne ne parle de politique, assure-t-il. Nous, les golfeurs du circuit européen, on veut surtout montrer à ceux du circuit américain qu’ils ne sont pas tout seuls. On fait tout pour prouver que, de ce côté de l’Atlantique aussi, on joue bien au golf. »

« Laissons la politique à la politique, et le sport au sport », confirme Jean Van de Velde, participant de l’édition 1999, l’un des deux autres Français à avoir aussi disputé la compétition. De fait, la naissance de cette équipe européenne relève d’abord et surtout d’une logique sportive.

A ses débuts, en 1927, la Ryder Cup opposait Britanniques et Américains. Et c’est pour optimiser leurs chances de victoire que les sujets de Sa Majesté ont finalement accepté dans leurs rangs des Irlandais (depuis 1973), puis des ressortissants de toute l’Europe (depuis 1979). Un temps, les Américains envisagent d’abord d’affronter une équipe du « Commonwealth ». Va finalement pour l’Europe, continent émergent du golf et nouvel adversaire.

Les exégètes prêtent cette idée à l’Américain Jack Nicklaus, plus beau palmarès du golf mondial. A l’époque, il s’agissait surtout de relancer l’intérêt du trophée, et donc de rééquilibrer le rapport de force. Ce qui survint. Jusqu’alors, les Etats-Unis avaient enquillé 18 victoires, mais seulement 3 défaites et une égalité. Depuis, c’est l’Europe qui mène : 10 victoires pour elle, contre 8 défaites et une égalité. Fort belle remontée. Ou plutôt, belle « remontada », dans la langue du regretté Severiano Ballesteros et de José Maria Olazabal.

Dépourvu de dotation financière

A l’automne 1997, comme un remerciement à ces deux golfeurs de talent, l’Espagne devint le premier pays d’Europe continentale à accueillir une édition de la Ryder Cup. Pour l’occasion, le trophée avait élu pour terrain de jeu le Valderrama Golf Club de San Roque, près de Cadix.

En 2022, après la France, il a déjà prévu de poursuivre son exploration, cette fois dans la région de Rome. Un jour, peut-être, viendra le tour de l’Allemagne. Le pays a déjà émis le souhait de recevoir également l’événement, façon de se rappeler au bon souvenir de Bernhard Langer, l’homme aux dix participations à la Ryder Cup (1981-2002), à une unité du record de l’Anglais Nick Faldo.

Entre-temps, pour en revenir au Brexit, le Royaume-Uni devrait déjà avoir quitté l’Union européenne. Son gouvernement a fixé la sortie au 29 mars 2019. Une démarche sans grande conséquence sur la Ryder Cup, promet Richard Hills, directeur général de l’événement pour l’Europe : « Notre équipe existe sur des bases géographiques, pas politiques. »

Cette construction continentale garantit pour le moment la singularité de la Ryder Cup, outre le fait que ce trophée reste volontairement dépourvu de dotation financière. Une différence notable avec la Laver Cup, cette toute nouvelle compétition-exhibition de tennis lancée en 2017 entre l’Europe… et le reste du monde.