Un père de famille, « ministre » pour le groupe Etat islamique (EI), et son fils, tous deux partis en Syrie puis rentrés en France dans des conditions qui posent question, ont été condamnés vendredi 28 septembre à huit et dix ans d’emprisonnement.

« Pas convaincu » par sa version de l’histoire, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Lotfi Souli, Franco-Tunisien de 50 ans, à la peine maximale, dix ans assortis d’une période de sûreté des deux tiers.

Son fils aîné, Karim, 23 ans, a été condamné à huit ans avec période de sûreté de moitié, le tribunal tenant compte de son « évolution » encourageante, de son jeune âge à l’époque, et de « l’ascendant » qu’exerçait son père sur lui.

Dans le box où ils comparaissaient depuis jeudi pour association de malfaiteurs à visée terroriste, père et fils, côte à côte, n’ont pas bronché.

« Dangerosité extrême »

Le parquet avait souligné « l’ambivalence », la « dangerosité extrême » de Lotfi Souli, estimé qu’il était « trop tôt » pour avoir des « gages sur la réinsertion » de Karim, et requis la peine maximale pour les deux.

Lotfi, Karim Souli et le cadet, un lycéen alors âgé de 15 ans qui sera jugé par le tribunal pour enfants le 16 octobre, ont passé dix-huit mois en Syrie entre octobre 2013 et mai 2015, en grande partie au sein de l’EI.

L’audience n’aura pas permis d’éclaircir les conditions de leur retour en France, en 2015, sujet de « vives inquiétudes ». Ils étaient rentrés bardés de milliers d’euros et de dollars, d’un grand nombre de fichiers de propagande, mais aussi d’une abondante documentation relative au pilotage d’avions ou à la fabrication d’explosifs. Des recherches Google Maps sur l’emplacement de la tour Eiffel et du pont d’Iéna à Paris avaient aussi été identifiées. La famille a nié avoir consulté des fichiers relatifs à la chimie ou au maniement des armes et invoqué « le jeu Flight simulator » s’agissant de l’aéronautique.

Surtout, le père, qui avait occupé de hautes fonctions dans la téléphonie au sein de l’EI, a expliqué avoir quitté la Syrie après avoir passé plusieurs mois dans les geôles de l’organisation, soupçonné d’espionnage après avoir commis une grave erreur stratégique.

Il aurait été libéré en retrouvant « ses papiers, son argent », alors que l’EI applique la peine de mort pour moins que cela, avait relevé la procureure, s’interrogeant : « Une question me taraude : qu’a donc promis Lotfi Souli à l’Etat islamique ? »

A cette époque, quelques mois avant les attentats parisiens du 13-Novembre, le groupe missionnait des combattants français vers l’Europe. « Vous bénéficiiez d’un rang suffisamment élevé » au sein de l’EI « pour vous accorder des facilités pour sortir », a commenté le tribunal.

Lotfi Souli, personnage insaisissable semblant évoluer dans une bulle truffée de références mathématiques et techniques parfois absconses, a soutenu qu’il ne voulait que récupérer Anass B., un ami de Karim qui évoluait au sein du groupe islamiste Ahar Al-Sham, et qu’il s’était trouvé contraint de rester quand l’EI avait pris le pouvoir.

« Peur irrationnelle »

Son avocat, Martin Pradel, a dénoncé la « peur irrationnelle qu’il inspire » : « Des suspicions vous en avez, des preuves vous n’en avez pas ». « S’il y avait des doutes sur ce qu’ils allaient faire en France », il aurait fallu diligenter des investigations supplémentaires ou ouvrir une procédure criminelle, a plaidé le conseil de Karim, Xavier Nogueras.

Anass, présumé mort au combat en 2013 et jugé par défaut en l’absence de preuve formelle de son décès, a en revanche été relaxé.

Le tribunal a considéré qu’à l’époque, Ahar Al-Sham, certes « un groupe djihadiste qui voulait instaurer la charia », n’était pas pour autant « terroriste » avec le projet politique et le grave trouble à l’ordre public que cela implique.

Père et fils devront verser solidairement 600 euros à l’Association française des victimes du terrorisme, partie civile.