Le nouveau gouverneur d’Okinawa, Denny Tamaki, après l’annonce de sa victoire, à Naha, la capitale, dimanche 30 septembre. / Takuto Kaneko / AP

Un camouflet pour le premier ministre Shinzo Abe. Ainsi est perçue l’élection surprise, dimanche 30 septembre à Okinawa, de Denny Tamaki au poste de gouverneur du petit archipel de l’extrême sud du Japon.

M. Tamaki, 58 ans, fils d’un militaire américain et d’une Japonaise, l’a emporté avec plus de 55 % des voix avec l’appui de la coalition All Okinawa réunissant les partis d’opposition. Atsushi Sakima, le candidat soutenu par le gouvernement Abe, n’a obtenu que 44 % des voix.

M. Tamaki succède à Takeshi Onaga, décédé d’un cancer le 8 août, sur la promesse de poursuivre sa lutte contre le déménagement à Henoko, dans le nord de l’île principale d’Okinawa, des activités de la base américaine de Futenma, actuellement à Ginowan, non loin de la capitale du département, Naha.

Comme M. Onaga, M. Tamaki veut que Futenma soit déplacée hors d’Okinawa. Or, ce projet, fruit d’un accord signé, en 2006, par Tokyo et Washington, fait partie des priorités du gouvernement Abe, qui veut notamment montrer aux Etats-Unis la solidité et le bon fonctionnement de l’alliance bilatérale de sécurité, pilier de la défense du Japon face, notamment, à la montée en puissance de la Chine.

Importants moyens

« Nous considérons avec le plus grand sérieux le résultat du scrutin », a réagi M. Abe à l’annonce de la victoire de Denny Tamaki. Le gouvernement jugeait prioritaire la victoire de M. Sakima, ex-maire de Ginowan et favorable au transfert de la base à Henoko. Il y a consacré d’importants moyens, dépêchant sur place des ténors de la majorité, comme le populaire Shinjiro Koizumi, fils de l’ancien premier ministre Junichiro Koizumi.

Le PLD « a fait tout son possible », juge, dans le New York Times, Koichi Nakano, politologue à l’université Sophia de Tokyo. La défaite l’a surpris, elle « est pour lui un désastre ». Elle pourrait avoir des conséquences au niveau national et contraindre M. Abe, dont la cote de popularité ne dépasse plus 50 % malgré sa réélection, le 9 septembre, à la présidence du PLD, à revoir sa stratégie. Son échec à Okinawa pourrait déstabiliser ses troupes à l’approche des élections sénatoriales de juillet 2019.

Jusque-là, son gouvernement avait choisi la fermeté, rejetant tout dialogue, mobilisant les forces de l’ordre contre les opposants au chantier d’Henoko et supprimant les subventions annuelles de près de 300 milliards de yens (2,3 milliards d’euros) versées au département.

Il n’hésite pas non plus à attaquer sur le terrain juridique. Okinawa a supprimé, en août, l’autorisation de construction d’un polder indispensable à celle de la base d’Henoko. Le gouvernement pourrait répliquer par un recours à la Cour suprême pour faire annuler cette décision.

Intransigeance de Tokyo

Après l’élection du nouveau gouverneur, qui a appelé au « respect de la volonté de la population », Yoshihide Suga, le porte-parole du gouvernement nippon, a répliqué que l’objectif de Tokyo restait de mener à bien le déménagement. Le ministre de la défense, Itsunori Onodera, a toutefois rappelé « poliment à M. Tamaki » que le but de l’opération était bien de « réduire quelque peu le fardeau des bases à Okinawa ». M. Abe a même évoqué le « développement économique d’Okinawa » en dehors des bases.

« Nous devons avoir conscience que même les petites fourmis peuvent déplacer le pied d’un éléphant », Denny Tamaki, gouverneur d’Okinawa

De fait, le succès de M. Tamaki dépasse le simple rejet du déménagement à Henoko. Les Okinawaïens voient dans l’intransigeance manifestée par Tokyo le reflet d’un certain mépris du pouvoir central pour un territoire autrefois indépendant, annexé en 1879, et qui abrite 80 % des moyens américains déployés au Japon, avec leur lot de nuisances sonores et sécuritaires.

Ils déplorent également un déni de démocratie. C’est la deuxième fois, après l’élection, en 2014, de M. Onaga, qu’ils s’expriment aussi clairement contre le projet d’Henoko.

Ce sentiment a relégué en arrière-plan les autres problèmes d’Okinawa, économiques notamment, et suscité des positionnements en faveur d’une plus grande autonomie d’un territoire prêt à retrouver sa position d’intermédiaire commercial entre le Japon, la Chine ou encore l’Asie du Sud-Est. « Nous devons avoir conscience que même les petites fourmis peuvent déplacer le pied d’un éléphant », a rappelé M. Tamaki après son élection.