Des patientes coinfectées par la tuberculose et le VIH dans une clinique du township de Khayelitsha, au Cap (Afrique du Sud), en février 2010. / Finbarr O'Reilly / REUTERS

Evelyne Kibuchi travaille depuis dix ans à lutter contre la tuberculose en Afrique de l’Est. Directrice de l’ONG Stop TB au Kenya, elle est également secrétaire pour l’Afrique du Global TB Caucus, un réseau de parlementaires qui travaillent à mobiliser leur pays contre cette maladie qui, sur le continent, tue plus que le sida.

L’Afrique compte seize des trente pays les plus touchés par la tuberculose, et cette maladie recule peu sur le continent. Est ce dû à un manque d’accès aux traitements ?

Evelyne Kibuchi Dans la plupart des pays, nous avons des traitements, des hôpitaux. Pas suffisamment, mais il y en a. Le problème, c’est que beaucoup de pays allouent l’essentiel de leurs budgets aux infrastructures et presque rien à la prévention et au diagnostic. Or les grandes études nationales menées dans certains pays – Kenya, Nigeria, Ghana, Tanzanie et Afrique du Sud, notamment – ont montré qu’en moyenne 50 % des personnes infectées ignorent qu’elles le sont. A quoi bon acheter plus de médicaments, d’équipements, si la moitié des malades ne savent pas qu’ils ont la tuberculose ? C’est un problème central, car si ces personnes ne reçoivent pas de traitement, elles vont en infecter d’autres. Il faut donc plus de ressources humaines pour les atteindre mais aussi faire de la prévention, sensibiliser les communautés. Ces solutions sont peu chères et efficaces.

Présentation de notre série : Tuberculose, jusqu’à quand ?

Surtout, la tuberculose n’est pas nécessairement un problème médical. La preuve, c’est que l’Afrique du Sud, qui a de bonnes infrastructures, est sur le continent l’un des pays qui compte le plus grand nombre de nouveaux cas chaque année [567 pour 100 000 habitants, selon l’Organisation mondiale de la santé, OMS]. Pour éradiquer la tuberculose d’ici à 2030, ce qui est l’objectif de l’OMS, il faut donc lutter contre les facteurs structurels de la maladie, qui sont socio-économiques.

C’est-à-dire ?

Regardons les facteurs qui prédisposent quelqu’un à la tuberculose. Vivre dans un bidonville, dans un logement insalubre mal ventilé, c’est un problème de statut économique. Avoir une mauvaise alimentation, c’est un problème économique. De même que l’accès aux services de santé et à l’éducation sont des enjeux socio-économiques. Si je ne suis pas éduquée, j’ai peu de chance d’avoir accès à l’information. Même si elle est diffusée à la radio, je risque de ne pas bien la comprendre, si toutefois j’ai une radio !

Les Etats prennent-ils la mesure du problème ?

Aujourd’hui, tous les pays ont, à ma connaissance, adopté un plan stratégique de lutte contre la tuberculose, ce qui peut être noté comme un progrès pour la région. Mais beaucoup souffrent d’une bureaucratie trop lourde et d’un trop grand scepticisme, notamment vis-à-vis des nouveaux traitements. Ils se disent : « Attendons de voir comment cela va fonctionner dans tel ou tel pays. » Tout cela nuit au droit des patients à être traités. A l’inverse, je pense que le Kenya montre que l’on peut aller vite : nous avons par exemple été les premiers à adopter, il y a deux ans, un traitement adapté aux enfants, qui donne de très bons résultats. Depuis, quatre-vingts pays ont fait de même.

Un autre défi auquel l’Afrique fait face est l’explosion des cas de tuberculose résistante aux traitements…

Oui, c’est un problème énorme et grandissant. La maladie mute. Pour les patients infectés, cela signifie un traitement plus long et beaucoup plus cher : jusqu’à 1,5 million de shillings kényans par personne pour un traitement de vingt-quatre mois [soit environ 13 000 euros, contre quelque 50 euros pour une tuberculose classique]. De plus, le patient reste plus longtemps contagieux, ce qui entraîne encore plus de stigmatisation des malades.

Quelles sont les conséquences de cette stigmatisation ?

Les patients sont contraints de rester chez eux ! A Nairobi, si vous montez dans un matatu [minibus de transport en commun] et que vous toussez, les autres passagers vont soit vous demander de descendre, soit descendre eux-mêmes. Ils ont peur de vous. La prochaine fois, vous resterez chez vous. Des personnes coinfectées avec le VIH m’ont dit que la stigmatisation de la tuberculose était bien plus forte que pour le sida. C’est un enjeu important pour cette maladie.

Vous êtes secrétaire pour l’Afrique du Global TB Caucus, qui vise à lutter contre la tuberculose en créant un réseau de parlementaires. Croyez-vous que cette initiative puisse vraiment avoir une influence ?

Revenons à sa création. Lorsque le cycle des Objectifs du millénaire pour le développement [OMD, de 2000 à 2015] s’est achevé, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait une absence de volonté politique s’agissant de la tuberculose. Le Caucus est né à ce moment-là, avec l’objectif d’exercer une influence aux niveaux national, régional, africain et mondial. Est-ce que cela fonctionne ? Oui. Au Kenya, les parlementaires mobilisés sont parvenus à obtenir une augmentation du budget consacré à la lutte contre la tuberculose.

Beaucoup de choses peuvent se passer au niveau politique. Par exemple, l’Afrique n’investit pas assez dans la recherche sur les maladies, ce qui faisait pourtant partie de la déclaration d’Abuja, où les chefs d’Etat du continent ont promis en 2001 de consacrer 15 % de leur budget à la santé. Combien de pays respectent cela ? Très peu. Il faut prendre ce défi à bras-le-corps, d’autant plus à l’heure où les financements extérieurs sont menacés, car c’est chez nous que la tuberculose est un problème.

Sommaire de notre série Tuberculose, jusqu’à quand ?

Le Monde Afrique propose des reportages, portraits et entretiens sur le continent pour raconter le fléau qui tue plus que le sida.

Episode 4 « En Afrique, avoir la tuberculose est aujourd’hui plus stigmatisant qu’avoir le VIH »

Episode 3 Une armée de volontaires en Ethiopie pour vaincre la tuberculose

Episode 2 A la poursuite des cas manquants de tuberculose dans les villages sénégalais

Episode 1 Au Kenya, une révolution au goût de fraise dans la lutte contre la tuberculose infantile

Présentation de notre série Tuberculose, jusqu’à quand ?

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.