Donald Trump lors d’un meeting à Wheeling (Virginie), le 29 septembre. / MANDEL NGAN/AFP

Editorial du « Monde ». Le choix d’un juge à la Cour suprême américaine, qui compte neuf magistrats nommés à vie par le président des Etats-Unis, est un rite essentiel de la vie politique outre-Atlantique. Il suscite traditionnellement de longs, profonds et parfois laborieux débats, qui reflètent le rôle crucial de la Cour dans l’évolution de la société américaine.

Il était sans doute inévitable que, à l’ère Trump, ces débats s’entourent d’un parfum de scandale, de divisions et de coups bas. Le spectacle offert la semaine dernière par les auditions au Sénat américain pour la confirmation du juge Brett Kavanaugh, candidat à la Cour suprême, n’est pas totalement inédit : il a même ramené les Américains près de trente ans en arrière, lorsque, en 1991, une jeune juriste, Anita Hill, avait été mise en pièces par les sénateurs pour avoir osé accuser de harcèlement sexuel le candidat d’alors, le juge Clarence Thomas.

L’histoire, cependant, ne se répète jamais tout à fait. La comparution, jeudi 27 septembre, d’une professeure d’université de 51 ans, Christine Blasey Ford, qui accuse M. Kavanaugh d’avoir tenté de la violer au cours d’une soirée arrosée lorsqu’il avait 17 ans et elle 15 ans, montre à quel point la vision brutale qu’entretient le président Donald Trump sur les rapports humains, sociaux et politiques influe aujourd’hui sur la vie de la nation.

L’impact sur les électrices

Plusieurs différences distinguent les deux situations. Anita Hill et Clarence Thomas étaient tous deux noirs, devant une commission judiciaire du Sénat exclusivement composée d’hommes blancs, ce qui avait permis au juge Thomas de se défendre contre le « lynchage » d’un homme noir osant prétendre accéder à la Cour suprême : cet élément est absent de l’affaire Kavanaugh. La diversité a progressé au sein du Sénat, même si les membres républicains de la commission judiciaire sont si uniment masculins qu’ils se sont sentis obligés de recruter une procureure pour les aider à interroger Mme Ford. Autre différence : l’irruption du mouvement #metoo qui, depuis un an, a profondément secoué l’opinion publique.

Lui-même cible de multiples accusations, M. Trump, on s’en doute, a peu de goût pour ce mouvement. Il aurait tort, cependant, d’en sous-estimer l’impact sur les électrices, y compris républicaines, révélé par plusieurs sondages récents. Les doutes exprimés par le président sur la crédibilité de Christine Ford, la rage manifestée par le juge Kavanaugh face au sacrilège commis par une femme qui ose l’accuser, la violence de son réquisitoire ouvertement partisan contre les démocrates : tout cela est révélateur d’une vision manichéenne et archaïque des rapports hommes-femmes et d’une politisation troublante de la Cour suprême.

L’embarras d’un sénateur républicain, Jeff Flake, après les auditions a conduit à l’ouverture d’une enquête du FBI. Très limitée dans le temps et dans son objet, cette enquête ne permettra peut-être pas d’établir la vérité. M. Trump et les républicains souhaitent évidemment parvenir à confirmer le juge Kavanaugh avant les élections de mi-mandat, le 6 novembre, qui pourraient tout remettre en cause.

En 1991, le Sénat avait confirmé le juge Clarence Thomas. Mais l’épreuve des auditions l’a rendu muet à l’extérieur de la Cour suprême, où il siège toujours. L’année suivante, le président George H.W. Bush était battu à l’élection présidentielle par un novice démocrate nommé Bill Clinton. Et un nombre record de femmes étaient élues au Congrès. A bon entendeur, salut.

Kavanaugh agresseur ? Sa stratégie de défense est bien connue aux États-Unis
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