Boris Johnson, le 2 octobre au congrès des tories, à Birmingham. / TOBY MELVILLE / REUTERS

La dernière facétie de « BoJo » a des allures de publicité pour une marque de croquettes canines. A Theresa May qui avouait lors d’un entretien télévisé que « courir dans un champ de blé » était « la chose la plus polissonne qu’elle ait jamais fait », Boris Johnson répond en se faisant immortaliser en plein footing à travers champs, dans la lumière dorée de la campagne britannique. Lui n’a pas peur de ne pas être sage. C’en est devenu pléonastique.

Tant pis s’il faut renfiler le costume de pitre, Boris Johnson est prêt à tout pour tourner en ridicule la première ministre, symbole d’un « soft Brexit » dont il veut se faire le premier des détracteurs. Un rôle qu’il tentera d’incarner, mardi 2 octobre, au congrès des tories (parti conservateur), où il sera l’attraction du jour.

Une tribune privilégiée

A moins de six mois de la date fatidique de mise en œuvre du Brexit, le fantasque tribun devrait pouvoir y exposer l’étendue de ses désaccords avec le gouvernement, grillant la politesse à Theresa May qui n’interviendra que mercredi. Une position privilégiée, d’autant que l’intéressé boit du petit lait depuis le rejet par l’Union européenne, la semaine passée, du « plan de Chequers », un partenariat douanier avec l’Union européenne défendu par la première ministre, et qui avait poussé Boris Johnson à démissionner du gouvernement début juillet.

Officiellement, il est depuis occupé à finaliser une biographie de Shakespeare, commandée par la maison d’édition Hodder en 2015 pour près de 700 000 euros. Mais en coulisses, jamais il n’a quitté des yeux le 10 Downing Street, ce poste de premier ministre qu’il convoite depuis sa plus tendre jeunesse, passée sur les bancs du très bourgeois pensionnat d’Eton.

Tout l’été, Boris Johnson, 54 ans, a pris conseil sur la meilleure manière de doubler par la droite la première ministre conservatrice. Auprès de Steve Bannon, notamment, l’ancien conseiller en stratégie de Donald Trump, dont la presse ne cesse de tirer des parallèles populistes avec Boris Johnson. Mais aussi avec l’association Change Britain, à l’origine de l’intense campagne « Vote Leave » lors du référendum sur le Brexit, couronnée du succès que l’on sait.

Offensive en cours

Depuis début septembre, Boris Johnson est sur tous les fronts, tentant au passage de faire oublier son fracassant divorce estival pour infidélités répétées – peu goûtées par les toujours très puritains électeurs conservateurs. Cet ancien journaliste – renvoyé du Times pour avoir trafiqué une citation – a repris sa chronique dominicale dans The Telegraph. Il y tire à boulets rouges sur le gouvernement et fait du pied aux ex-électeurs du UKIP (United Kingdom Independence Party), le parti europhobe et de plus en plus anti-islam fondé par Nigel Farage. Début septembre, il y comparait ainsi les musulmanes en niqab à des « boîtes aux lettres » et des « braqueurs de banque ».

Signe de l’offensive en cours pour renverser le soldat May, le quotidien conservateur lui a même ouvert une double page le 27 septembre pour que le politicien expose son plan pour un « meilleur Brexit ». Il y compare le « plan de Chequers » à une « ceinture explosive » attachée au Royaume-Uni. Des propos qui ont choqué, y compris au sein du parti conservateur. Le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Alan Duncan, estimait ainsi qu’ils constituaient « un des moments les plus navrants de la politique moderne britannique ».

Il sent le vent tourner

Mais c’est un style que Boris Johnson assume, et revendique même. En 2001, en pleine campagne pour les législatives, le trublion interpelle un électeur : « Si vous votez tory, votre femme aura de plus gros seins et vous augmenterez vos chances d’avoir une BMW. » Une des – innombrables – tirades qui lui valent une sympathie populaire grandissante, et lui permettront d’être élu, à la surprise générale, maire de Londres en 2008 et en 2013.

C’est que Boris Johnson ne laisse pas grand-chose au hasard, y compris sa coupe de cheveux blonde peroxydée savamment décoiffée, devenue quasi métonymique. Le politicien, fils d’un eurodéputé conservateur et d’une artiste peintre, n’est pas dépourvu de flair. Il sent le vent tourner, et n’hésite pas à aligner ses positions avec ses intuitions. Une plasticité idéologique qui lui vaut les railleries de ses collègues conservateurs, mais qui lui permet toujours de rebondir et de s’extirper des situations délicates.

En témoigne l’évolution de sa position sur le Brexit, sur laquelle il a lui-même avoué avoir hésité jusqu’au dernier moment. Depuis, cet eurosceptique est devenu le chantre d’un « hard Brexit », et défend notamment un « super accord de libre-échange » avec l’UE, copié sur celui signé entre l’UE et le Canada (CETA). Une option qui n’apporte pas de solution à la question de la frontière entre la province britannique d’Irlande du Nord et la République d’Irlande, principale pierre d’achoppement dans les négociations avec l’UE, a souligné Downing Street.

Qu’importe, le discours de Boris Johnson reste populaire auprès d’une partie de l’électorat conservateur. Il apparaît au fils des mois comme une solution de dernier recours en cas d’échec des négociations. Celui qui pourrait rester intransigeant face à Bruxelles, et éviter au pays de s’abaisser à signer des accords contraires à sa décision de quitter l’UE. Au point que la presse britannique ne cesse de l’annoncer tous les six mois comme futur premier ministre. Avant de se rétracter. Car la faiblesse de l’ancien ministre est d’être si peu populaire parmi ses pairs.

Dans un « monde imaginaire »

Les alliés de Boris Johnson aux Communes se comptent sur les doigts d’une main. Une douzaine de conservateurs menacent même de quitter le parti s’il en devenait le leader. Quand le ministre des finances, Philip Hammond, estime que Boris Johnson évolue dans un « monde imaginaire », le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Alan Duncan, promet sur Twitter de veiller personnellement à mettre fin à la carrière de Johnson. Pas besoin d’un « Trump britannique », juge-t-il.

Même l’ancien ministre chargé du Brexit, David Davis, pourtant lui aussi favorable à la mise en place d’un accord de libre-échange, a pris ses distances. « Ses idées font de bons titres dans les journaux, mais pas forcément de bonnes politiques. » Et Theresa May, malgré des désaveux réguliers de la part des Britanniques ou des Européens, réussit le tour de force de rester le plus petit dénominateur commun parmi les tories. Boris Johnson sera contraint de jouer sa meilleure partition pour espérer la déloger.

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