Le président angolais, Joao Lourenço, lors du 10e sommet des BRICS à Johannesburg, le 28 juillet 2018. / GIANLUIGI GUERCIA/AFP

En Angola, la lutte anti-corruption a pris les allures d’une purge spectaculaire et ciblée dont se délectent la population et l’élite africaine. Il était tellement inconcevable il y a encore un an d’imaginer sur la sellette les richissimes enfants du précédent chef d’Etat, José Eduardo dos Santos, des ministres et des militaires nantis.

Une vague d’angoisse a déferlé sur les quartiers huppés de Luanda, la capitale, où des millions de pétrodollars détournés ont été retrouvés dans des jardins et des coffres de villas de luxe. Et ce ne sont là que des miettes des 30 milliards de dollars (26 milliards d’euros) déposés par des Angolais dans des banques étrangères, selon les autorités, et dans des paradis fiscaux.

L’élite corrompue de Luanda

Au cours de cette année, en effet, la peur a changé de camp. L’élite corrompue de Luanda n’a plus qu’à masquer ses attributs de richesse autrefois étalés, à défaut de parvenir à quitter le pays, comme cet ancien gouverneur réfugié à Cuba. Sur le tarmac de l’aéroport de Luanda, des jets privés de personnalités déjà ou bientôt visées par des enquêtes sont cloués au sol.

Le destin de deux mirliflores jusque-là intouchables illustre cette tendance. Jean-Claude Bastos de Morais, financier suisso-angolais de 51 ans, a eu l’imprudence de rentrer à Luanda il y a quelques mois. Cet élégant homme d’affaires s’est toujours montré très discret sur l’activité de son groupe d’investissement, Quantum Global. C’est pourtant à travers cette structure établie à Zoug que la quasi-intégralité du Fonds souverain angolais, alors dirigé par son ami de jeunesse et fils de l’ex-président, José Filomeno dos Santos, 40 ans, était gérée dans la plus grande opacité via des sociétés offshore à Maurice, comme l’ont révélé les « Paradise Papers ».

Les autorités de l’île de l’océan Indien ont gelé une partie des comptes et le nouveau pouvoir angolais a limogé, en janvier, le fils dos Santos avant de le mettre en examen deux mois plus tard pour « fraude, détournement de fonds, trafic d’influence, blanchiment d’argent et association criminelle » suite à la découverte d’un transfert douteux de 500 millions de dollars de la Banque centrale vers un compte à Londres.

Un moment charnière

Depuis le 24 septembre, ces deux dandys de la finance angolaise, soupçonnés d’être les cerveaux d’un détournement de fonds pouvant s’élever à 1,5 milliard de dollars, se trouvent en détention provisoire, dans la prison de Viana, réputée pour ses conditions désastreuses. Dans un communiqué diffusé le 1er octobre, Quantum Global dénonce la « détention illégale » de son fondateur et le recours à « l’intimidation, à la coercition et à la violation de droits humains » pour contraindre M. Bastos de Morais « à renoncer à ses droits et à céder tous les actifs et les fonds sous la gestion du groupe ». Pas de quoi susciter de l’indignation ou de l’émotion pour l’instant.

L’Angola vit un moment charnière depuis l’arrivée au pouvoir de Joao Lourenço, en septembre 2017. Ce général à la retraite de 64 ans, apparatchik du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), dépèce méthodiquement le système affairiste de son prédécesseur, dont l’incarnation la plus éclatante est peut-être sa fille aînée, Isabel dos Santos. Considérée comme la femme la plus riche d’Afrique, elle a été remerciée de la présidence de Sonangol, la société pétrolière d’Etat, et se retrouve visée par des enquêtes, notamment pour détournements de fonds présumés.

« C’est impressionnant et symboliquement très fort. Mais, pour l’instant, cette purge vise uniquement les responsables du régime précédent. Or on pourra parler de véritable changement lorsque des hauts responsables du régime actuel seront visés par des enquêtes pour leur gestion de fonds publics, nuance le politologue Didier Peclard, du Global Studies Institute. Pour cet universitaire genevois, « à travers le président Lourenço, le MPLA récupère aussi des portions de pouvoir accaparé par le clan dos Santos, notamment ses enfants, qui avaient tenté une sorte d’OPA sur le parti ».

Une libéralisation de la parole

Bien que sélective pour le moment, cette croisade anti-corruption est très populaire, au point d’être saluée et encouragée par le principal parti de l’opposition. Ce qui a permis à Joao Lourenço d’asseoir son autorité. En se faisant élire en septembre à la tête du MPLA, présidé depuis trente-neuf ans par José Eduardo dos Santos, le nouveau chef de l’Etat a pu remanier à sa guise le bureau politique, en écartant les derniers fidèles de l’ancien régime.

José Eduardo dos Santos ne dispose plus de véritables leviers d’influence dans l’appareil d’Etat. Avant la présidentielle, il avait certes fait adopter une loi empêchant de changer les chefs de l’armée, l’une des plus puissantes d’Afrique, et des services de renseignement. Mais ces généraux ont été visés par des enquêtes pour corruption et remplacés. Joao Lourenço dispose désormais des pleins pouvoirs en partie hérités de son prédécesseur qui s’était taillé une Constitution sur mesure en 2010. Il est désormais le seul responsable du destin de cette puissance régionale, deuxième producteur africain de ce pétrole qui a facilité la reconstruction du pays après la guerre (1975-2002), tout en favorisant la corruption à grande échelle.

L’assainissement de la vie politique et du climat des affaires est une nécessité pour Joao Lourenço qui a promis un « miracle économique » durant sa campagne et doit regagner la confiance des investisseurs, mais aussi des institutions de Bretton Woods dans un contexte de crise économique. Cette lutte contre la corruption s’accompagne d’une ouverture du pays et d’une libéralisation de la parole, dans la presse et les réseaux sociaux. Ce qui marque une rupture avec le népotisme d’autrefois. C’est un pas important, une petite révolution pensée en interne au sein du parti de Joao Lourenço. Le MPLA fait sa mue pour mieux conserver le contrôle du pays, au cœur d’une région d’Afrique encore très largement marquée par la mauvaise gouvernance.