Une infirmière de MSF injecte son traitement à une patiente atteinte de tuberculose ultra-résistante, séropositive et diabétique, dans le township de Khayelitsha, près du Cap, en Afrique du Sud. / Jose Cendon / Jose Cendon

Noludwe Mabandlela est une survivante. « J’étais enceinte de huit mois lorsqu’on m’a diagnostiqué la tuberculose », amorce t-elle. A 40 ans, cette mère de famille de Khayelitsha, l’un des townships les plus pauvres d’Afrique du Sud, revient de très loin. Séropositive depuis quinze ans, elle a perdu ses deux premiers enfants, porteurs du VIH. Après un cancer du sein, elle contracte en 2017 la forme résistante de la tuberculose (TB-MR), qui représente 3,6 % des nouveaux cas de tuberculose dans le monde. Le bébé qu’elle avait dans le ventre est mort-né.

Présentation de notre série : Tuberculose, jusqu’à quand ?

Les larmes lui montent aux yeux, mais elle n’interrompt pas son récit. « Les effets secondaires du traitement pour la TB-MR sont horribles. Les piqûres font terriblement mal, j’étais tout le temps dans un état second. » A elle seule, Noludwe incarne l’histoire du combat contre la double épidémie, d’abord de sida puis de tuberculose. Le calvaire des premiers patients, mais aussi les grandes avancées dans la prise en charge d’une maladie qui tue en silence.

Insuffisance rénale, perte d’audition

En Afrique du Sud, la TB-MR concerne 16 000 personnes, soit 7 % des patients tuberculeux. Le pays est le deuxième le plus touché en Afrique, après le Nigeria. Et alors que le nombre de nouveaux cas de tuberculose y diminue chaque année depuis 2010, ce chiffre reste stable pour la TB-MR. La bactérie mute et développe une résistance aux traitements habituellement utilisés, l’isoniazide et la rifampicine.

En 2017, 558 000 personnes à travers le monde ont contracté une forme de la maladie résistante au moins à cette dernière, qui est l’antituberculeux de première intention le plus efficace. Ce défi majeur pour la santé publique globale pourrait enrayer les efforts visant à éradiquer la tuberculose d’ici à 2030, l’objectif fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans son rapport 2018, l’institution a rappelé que l’antibiorésistance « continuait d’être une crise de santé publique ».

Aujourd’hui, Noludwe va beaucoup mieux. « Depuis qu’on m’a mis sous bédaquiline, je n’ai presque plus d’effets secondaires », explique t-elle. Le traitement par injection à base de kanamycine qu’elle recevait auparavant a provoqué chez elle une insuffisance rénale et, comme chez 60 % des patients, un début de perte d’audition. Dirigée vers l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui intervient à Khayelitsha depuis 1999, elle a désormais accès aux toutes dernières molécules expérimentales qui enthousiasment la communauté médicale. Son traitement n’est pas terminé, elle doit encore avaler 30 pilules par jour. « Mais j’ai recommencé à chercher un travail, je distribue des CV », esquisse t-elle.

L’arrivée de la bédaquiline a provoqué une véritable révolution chez les patients atteints de TB-MR. Depuis quarante ans, aucun nouveau médicament n’avait été inventé contre la tuberculose. En l’introduisant en 2013 en quantité limitée, l’Afrique du Sud a fait figure de précurseure. En juin, le pays a décidé de déployer ce traitement de manière systématique pour tous les malades atteints d’une forme multirésistante, sans attendre les conclusions de toutes les études cliniques. Une démarche audacieuse, suivie en juillet par l’OMS, qui l’a intégré dans ses recommandations.

Jusque-là, la bédaquiline était d’abord proposée aux patients atteints de tuberculose ultra-résistante (TB-UR), soit 747 cas en 2017. « En 2012, le taux de mortalité pour les TB-UR était de 1 sur 2. Désormais, il a été ramené à celui des TB-MR, soit 1 sur 5 », détaille Norbert Ndjeka, du département tuberculose au ministère sud-africain de la santé. Entre-temps, le prix du médicament a été divisé par deux ; il s’élève désormais à 400 dollars (moins de 350 euros) pour six mois. C’est ce qui permet son déploiement massif, alors que le budget consacré aux TB-MR est équivalent à celui des tuberculeux atteints de formes non résistantes.

« J’étais squelettique »

Contrairement à ce que pensaient les médecins à l’origine, la tuberculose multirésistante peut se transmettre. « Au début, le personnel de santé stigmatisait les patients et les accusait de mal suivre les traitements », explique Justine Fargher, médecin spécialiste de la TB-MR chez MSF. A cause de la lourdeur des traitements, les patients étaient hospitalisés et concentrés dans des sanatoriums pendant de long mois. Les malades devaient parfois attendre qu’un lit se libère pour être traités.

Assistante sociale chez MSF, Busisiwe Beko le sait bien : elle a elle-même contracté la TB-MR en 2005 et en a guéri. Son expérience est celle d’un va-et-vient incessant entre différentes structures de soin, noyée par les conseils hasardeux des médecins.

A l’époque, elle pense être enceinte et se rend au centre de santé pour obtenir un test de grossesse. On lui propose également un test VIH, et elle se découvre séropositive. Sa grossesse se passe mal, elle perd énormément de poids. « J’étais squelettique, je n’arrivais même pas à marcher jusqu’à la clinique », raconte t-elle. Trois mois après la naissance de sa fille, on lui découvre la forme résistante de la tuberculose. Elle doit être hospitalisée. Mais lorsque l’ambulance vient la chercher, l’infirmier refuse de l’emmener car il n’était pas au courant qu’elle aurait son bébé avec elle.

Finalement, à 5 mois, sa fille contracte à son tour la TB-MR. « Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, l’infirmière s’est mise à crier : Qui est la mère stupide qui a laissé cette enfant sans traitement ?” », se souvient-elle, encore révoltée. Hospitalisée pendant un an, sa fille a pu s’en sortir. Busisiwe garde un vif souvenir des piqûres intramusculaires : le médecin levait le bras haut et frappait fort la fesse de son bébé pour que l’aiguille traverse les muscles.

Le centre de soins Lizo Nobanda de Médecins sans frontières dans le township de Khayelitsha, près du Cap, en Afrique du Sud. / MSF

Depuis, son travail consiste à accompagner les quelque 200 patients de Khayelitsha atteints de TB-MR. Ce township, construit dans les années 1980 par le régime de l’apartheid pour loger les migrants noirs venus des autres provinces, concentre un très fort taux de criminalité et de chômage. La surpopulation et le grand nombre de personnes séropositives en font un « réservoir à tuberculose », estime Busisiwe. « La TB-MR est vraiment pire que le sida. La stigmatisation est énorme, beaucoup de patients vivent le diagnostic comme une condamnation à mort. »

Avec la décentralisation des soins et la formation du personnel soignant, la prise en charge des malades a été considérablement améliorée. Mais l’efficacité des traitements reste la grande bataille que mène notamment MSF. En avril, l’organisation a lancé une étude clinique, EndTB, dans six pays simultanément. Au total, cinq combinaisons de médicaments seront testées sur 750 patients, dont 120 à Khayelitsha. Avec toujours pour objectif de rendre les traitements moins longs, plus efficaces et, surtout, moins toxiques.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.

Sommaire de notre série Tuberculose, jusqu’à quand ?

Le Monde Afrique propose des reportages, portraits et entretiens sur le continent pour raconter le fléau qui tue plus que le sida.

Episode 6 L’Afrique du Sud à l’avant-garde de la lutte contre la tuberculose multirésistante

Episode 5 A Johannesburg, le township de Tembisa à la pointe de la recherche sur la tuberculose

Episode 4 « En Afrique, avoir la tuberculose est aujourd’hui plus stigmatisant qu’avoir le VIH »

Episode 3 Une armée de volontaires en Ethiopie pour vaincre la tuberculose

Episode 2 A la poursuite des cas manquants de tuberculose dans les villages sénégalais

Episode 1 Au Kenya, une révolution au goût de fraise dans la lutte contre la tuberculose infantile

Présentation de notre série Tuberculose, jusqu’à quand ?