« Ma scolarité est devenue un combat avec moi-même », témoigne Mathis, qui a perdu sa mère lorsqu’il était en première.

Mathis, 20 ans, est étudiant en première année dans un institut de formation en masso-kinésithérapie, à Paris. Il a souhaité témoigner de son vécu et de sa « reconstruction » après le décès de sa mère, pour aider ceux qui y seraient eux aussi confronté.

J’ai perdu ma maman peu de temps après mon entrée en première S, quand j’avais 16 ans. J’ai perdu le goût de tout, de travailler, de manger (si bien que j’ai perdu 5 kg), de mes passions. Je suis retourné au lycée deux semaines après seulement. J’y allais par amour, pour elle et pour mon père, car j’étais trop malheureux pour penser à moi. J’ai réussi à me motiver juste avec une phrase que je me répétais : « Pense à maman qui n’aimerait pas que tu abandonnes les cours à cause de son départ, elle voudrait que la vie continue et que tu réussisses. »

J’avais de gros problèmes de concentration : je regardais mes professeurs ou mes amis dans les yeux, j’acquiesçais, mais en réalité je n’écoutais pas, tellement je pensais à tout ce qui m’arrivait. Il fallait tout noter, me créer des images pour fixer les choses dans ma tête. C’était surtout catastrophique pour lire des textes, ce qui m’a posé problème au bac de français : au début, je lisais une phrase et je perdais le fil, puis après j’en lisais deux puis trois, puis de mieux en mieux à force de persévérance.

Ma scolarité est devenue un combat avec moi-même ; je me suis battu comme jamais je me suis battu, sans avoir les résultats à la hauteur de mon travail. Ce que je faisais ou un ami faisait en dix minutes avant, je mettais désormais une heure à le faire. Il faut accepter d’avoir un handicap que l’on a jamais eu auparavant, et que cela dure quelques semaines, quelques mois, quelques années, cela dépend de chacun…

Evacuer cette frustration

Je souffrais de cela et je pleurais pour évacuer cette frustration (et je n’ai pas de fierté masculine qui veut toujours laisser transparaître une force et qui ne pleure jamais, moi j’ai pleuré, et cela m’a fait beaucoup de bien). Mais je me répétais qu’il fallait être patient, qu’avec le temps, en ne lâchant rien, je deviendrai plus fort, plus concentré, plus appliqué et encore plus déterminé. Mon père a été extraordinaire dans ses paroles, en me disant : « Ne regarde pas ce que tu n’as pas fait mais tout ce que tu as fait cette année, tous tes efforts, et comme tu as progressé. »

« Peut-être qu’elle est mieux là où elle est, où elle ne souffre plus »

J’ai eu besoin, au début, d’aller tous les jours au cimetière, cela me permettait d’évacuer, c’était mon équilibre, mais cela dépend de chacun. Il ne faut pas y aller si nous n’aimons pas, si cela ne nous fait pas du bien, et surtout ne pas culpabiliser. Là, je parlais à ma mère, je pleurais, mais je repartais toujours en ayant séché mes larmes grâce à cette phrase que disait mon père : « Peut-être qu’elle est mieux là où elle est, où elle ne souffre plus. » Cette phrase m’a vraiment énormément aidé car je me dis que si la douleur l’a emporté, c’est sûrement que la douleur était trop forte. Malgré sa tristesse, il est important de se décentrer, de se mettre à la place de l’autre, et d’avoir le courage de dire « je préfère le bien de ma mère que le mien, et ce bien, en réalité, c’était surtout la fin de sa souffrance ».

Il faut aussi de l’empathie pour se dire que la personne décédée n’aimerait pas vous voir pleurer, être triste, être malheureux. Par respect pour elle, et de manière imagée, pour ne pas la décevoir, il faut continuer de se battre et de vivre malgré la douleur et la souffrance intérieure. Chacun réagit à sa manière : d’autres pensent, dès la mort d’un proche, que nous n’avons qu’une vie et qu’il faut en profiter au maximum. Pour ma part, je n’ai pas réussi, je n’arrivais pas à penser à moi. Après avoir avancé dans mon deuil, j’ai petit à petit réussi à m’imposer ce nouveau mode de vie : nous n’avons qu’une vie et il faut en profiter au maximum.

Différent des autres, comme exclu

J’ai eu la chance d’avoir des amis qui m’ont fait rire et redonné le sourire. Mais beaucoup d’autres, avec qui je vivais, au lycée ou ailleurs, m’ont blessé sans le faire exprès. Des simples phrases comme « ma mère vient me chercher » et toutes les insultes liées aux parents, m’étaient insupportables. Je souffrais de ne plus pouvoir en parler comme eux et donc d’être différent des autres, comme exclu… Personne ne peut imaginer la douleur de perdre sa mère ou son père ou un autre proche s’il ne l’a pas vécu. Donc nous ne pouvons pas en vouloir aux personnes qui ne comprennent pas ou qui sont maladroites dans leurs propos en voulant pourtant nous aider. Mais il faut s’éloigner de ceux qui se plaignent tout le temps, broient du noir et n’ont pas d’empathie.

On a besoin d’être encouragé dans notre démarche de parler, quitte à aller voir un psy

Il faut s’entourer de ceux qu’on aime, qui nous apportent des ondes positives, à qui on pourra parler. C’est important de beaucoup parler et d’éliminer, de pleurer, pour extérioriser ce mal-être. On a besoin d’être écouté sans être jugé, et d’être encouragé dans notre démarche de parler, quitte à aller voir un psy (et bien comprendre que les clichés sont faux, aller voir un psy n’est pas réservé aux fous), si on n’a personne à qui parler ou si on n’y arrive pas. Pour ma part, j’ai eu la chance d’être très bien entouré, mais j’échangeais surtout avec une dizaine de personnes : mon père et ma copine qui ont été exceptionnels, mon frère, mes grands-parents, ma marraine, quelques membres de la famille et de mes amis.

Pour se reconstruire, je pense aussi qu’il ne faut pas culpabiliser sur la mort de la personne en cherchant sa part de responsabilité. Il faut aussi s’évader et se divertir avec ce et ceux que l’on aime. Une de mes grandes passions, le théâtre, m’a beaucoup aidé : c’est un moyen d’expression et d’élimination exceptionnel, couplé à du sport, pour se défouler et se libérer de tous nos chagrins, malheurs, énervements… Et moi qui adore « bien manger », j’ai appris à cuisiner pour tous les jours, et toujours dans l’objectif d’apporter du baume au cœur à mon père et moi avec des plats sympas. Il faut s’accrocher à ces petites choses très personnelles à chacun mais qui nous font du bien.

N’avoir rien lâché, c’est aussi ce qui a fait ma force

En étant mieux psychologiquement, j’ai réussi à m’encourager, en me disant que je souhaitais faire kinésithérapeute depuis tout petit, maman adorait ce métier, elle était ravie que j’ai eu cette idée seul et que je puisse la réaliser, et ça m’a encore boosté dans mon projet. Puis, confronté aux concours pour entrer en école de kiné, j’ai compris que je bossais pour moi.

N’avoir rien lâché, c’est aussi ce qui a fait ma force en cette année 2017-2018, pour entrer en école de kinésithérapie. Selon plusieurs amis, j’avais un truc en plus, par exemple après un 8 heures – 18 heures avec quatre heures d’amphi, tout le monde rentrait chez lui épuisé, moi j’allais à la bibliothèque universitaire jusqu’à 20 heures (fatigué ou non), et parfois je bossais de nouveau dans les transports en rentrant.

Je ne me plaignais jamais, contrairement à d’autres soi-disant « au bout de leur vie » après un cours ou autre. Pour moi c’était long et fatiguant mais c’était comme ça, ce grave événement m’a appris que dans la vie il y a des choses peu importantes, peu graves et des choses qui le sont davantage, on n’a pas toujours le choix, donc on se bat et on avance.

Je sais que cette détermination provient du décès de ma mère. J’ai tellement souffert que maintenant je vis différemment, je donne tout dans tout ce que je fais car je sais que l’on n’a qu’une vie et que cela va très vite ! Quatre ans après le départ de ma mère, j’ai toujours des grands coups de mou, des grandes tristesses. Ils sont parfois aussi violents qu’aux premiers jours, mais avec le temps, ils deviennent moins fréquents. Pour autant, cela va bien mieux depuis que j’ai compris qu’il fallait continuer de vivre pour moi, pour mes proches et pour elle. Ma maman était exceptionnelle, j’avais une relation très fusionnelle avec elle. On ne se rend pas compte de tout ce que nos mères font pour nous, il faut leur être très reconnaissant.

J’espère que ce témoignage pourra aider d’autres personnes confrontées à un deuil : ce ne sont que de petites choses, mais qui, à la fin, nous permettent d’aller mieux.