Des employés d’EDF dans le simulateur de salle de contrôle de la centrale nucléaire de Fessenheim, le 12 juin. / VINCENT KESSLER / REUTERS

La plus vieille centrale nucléaire de France va-t-elle finir par fermer ? Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait repris à con compte cet engagement de François Hollande. Mais il avait aussi continué à lier le sort des deux réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin) au démarrage de l’EPR de Flamanville (Manche).

Or le chantier de Flamanville a déjà viré au cauchemar pour EDF : démarré en 2007, le réacteur de nouvelle génération ne devrait pas démarrer avant fin 2019, au mieux. Ce report repousse d’autant la fermeture de la centrale de Fessenheim, se félicitent les élus locaux, qui espèrent que ce décalage va leur donner un peu d’air.

Après neuf mois de discussions et trois comités de pilotage sur l’avenir de Fessenheim, le secrétaire d’Etat à la transition écologique Sébastien Lecornu devait présenter, jeudi 4 octobre, dans le village, les détails du plan de reconversion économique du territoire.

Synthèse des réflexions de la région Alsace, du département du Haut-Rhin, de la commune de Fessenheim, de la communauté de communes et des services de l’Etat, le plan vise à « faire de Fessenheim une reconversion économique exemplaire », souligne-t-on au ministère de l’écologie. L’enjeu est de taille : 850 agents EDF et 300 salariés de sous-traitants travaillent sur le site de la centrale, qui génère également quelque 1 000 emplois indirects et 14 millions d’euros de retombées fiscales annuelles pour les collectivités locales.

Des dizaines de projets ont été recensés en matière de développement économique, d’infrastructures, de transition énergétique et d’innovation. « Si le projet est ambitieux, l’accompagnement financier sera ambitieux », promettait Sébastien Lecornu en janvier. Le gouvernement s’engage finalement à débloquer 10 millions à 15 millions d’euros pour lancer les premiers projets.

Fermeture de plusieurs réacteurs d’ici à 2028

Parmi les annonces phares du plan, la création d’une zone d’activités, au nord de Fessenheim, le long du grand canal d’Alsace : 200 hectares, dont une trentaine disponible dès le 1er janvier 2020. Une société d’économie mixte franco-allemande, créée en janvier, est chargée d’en assurer l’aménagement. « C’est une zone frontalière, au cœur de l’Europe. Ce serait vraiment curieux si on n’arrive pas à y accueillir des entreprises », explique Sébastien Lecornu. Le gouvernement prévoit également une prime de 15 000 euros par emploi créé. Un geste en direction des entrepreneurs allemands, qui lorgnent le foncier alsacien mais réclament une plus grande souplesse fiscale et sociale.

EDF, de son côté, s’engage à créer sur le site de la centrale nucléaire un technocentre de démantèlement des grosses pièces métalliques, notamment les générateurs de vapeur. Avec, à la clé, 200 emplois et 100 millions d’euros d’investissements. Une bouffée d’oxygène pour le territoire. « Il y aura à l’avenir des besoins dans le démantèlement des centrales nucléaires, c’est une opportunité à saisir avec les Allemands », note le secrétaire d’Etat.

Le détail du plan pour gérer l’après-Fessenheim est observé de près par les observateurs du secteur. Et pour cause : le gouvernement doit faire connaître fin octobre la feuille de route énergétique de la France, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Dans ce cadre, il pourrait annoncer la fermeture de plusieurs réacteurs d’ici à 2028. La France s’est en effet engagée à passer à 50 % de son électricité produite par des centrales nucléaires, contre 75 % aujourd’hui.

« Ces annonces ne sont que des déclarations d’intention, sans aucun engagement financier de l’Etat »
Raphaël Schellenberger, député Les Républicains de la circonscription

Les concessions obtenues par les élus locaux vont-elles servir de modèle pour d’autres fermetures ? Au gouvernement, on assure que Fessenheim est un cas particulier, sur lequel se concentrent des moyens importants. Rien ne garantit qu’il en sera de même lors des prochaines fermetures, prévient-on.

Mais les projets retenus pour l’après-Fessenheim sont loin d’être entièrement calés. Un exemple ? Le projet de liaison ferroviaire entre Colmar et Fribourg (Allemagne), réclamé par les élus locaux depuis plus de soixante ans, fera l’objet d’une « étude de faisabilité », dont les résultats seront connus à la fin de l’année.

Le plan de reconversion contient également un volet social. Les sous-traitants menacés par la fermeture de Fessenheim bénéficieront d’une cellule de reclassement et d’un accompagnement personnalisé. Quant à la perte de fiscalité pour les collectivités locales, sujet de friction avec les élus, le gouvernement a prévu un système de compensation : 30 millions d’euros sur dix ans, de manière pleine pendant trois ans, et dégressive les sept dernières années. « Ça n’a jamais été fait auparavant pour les fermetures de centrales thermiques, défend Sébastien Lecornu, 30 millions ce n’est pas rien. »

M. Lecornu avait également annoncé en avril un appel d’offres photovoltaïque de 300 mégawatts dans le Haut-Rhin – un investissement total de 240 millions d’euros sur vingt ans.

« Quoi qu’il arrive, Fessenheim s’arrêtera »

Pour certains élus, le compte n’y est pas. « Ces annonces ne sont que des déclarations d’intention, sans aucun engagement financier de l’Etat, dénonce Raphaël Schellenberger, député Les Républicains de la circonscription de Fessenheim. M. Lecornu semble vouloir se débarrasser du dossier. »

Le député La République en marche de la circonscription voisine, Bruno Fuchs, souligne « le manque d’ambition » du gouvernement, et critique la méthode employée : « Ce n’est qu’un listing de projets locaux. Beaucoup a été fait, mais ça ne va pas assez loin, regrette-t-il. L’Etat n’apporte pas les moyens financiers qu’il s’était engagé à apporter pour faire de l’Alsace une région au cœur de l’Europe, et le berceau des innovations du XXIsiècle. »

Le projet de reconversion doit être signé avec tous les acteurs locaux au plus tard début 2019. Car, comme le rappelle le secrétaire d’Etat, « quoi qu’il arrive, Fessenheim s’arrêtera. Que ce soit six mois de plus, ou pas, la fermeture est actée ».

Le processus pourrait cependant prendre encore du retard. Mercredi, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a fait savoir à EDF que les problèmes rencontrés sur le chantier de l’EPR nécessitaient encore un « travail technique important ». Une manière de souligner la probabilité que Flamanville connaisse de nouveaux retards dans les mois qui viennent. Un sursis de plus pour Fessenheim.