Des jardins partagé à Grande-Synthe en 2018. / Zakarian Zazoui

A genou sur son lopin de terre, Zakaryan Zazoui, 30 ans, termine de remplir un sac plastique avec de grosses tomates. « Là, j’en ai facile trois-quatre kilos, je vais pouvoir en donner aux voisins et aux collègues », commente cet ouvrier du bâtiment. Cela fait deux ans qu’il cultive, avec l’aide de ses deux enfants, tomates, carottes et pommes de terre dans l’un des six potagers urbains créés par la commune de Grande-Synthe (Nord). Régulièrement, Julien Mierzejewski, un animateur municipal, passe donner un coup de main aux habitants, les aide à trouver des alternatives naturelles aux pesticides, leur fournit des graines ou du matériel pour leur parcelle. Depuis deux ans, 170 familles cultivent ainsi leurs légumes bio entre les HLM.

A Grande-Synthe, l’agriculture urbaine n’est pas une occupation pour bobos. « D’ailleurs, c’est simple, des bobos, il n’y en a pas », lâche Julien Mierzejewski qui anime aussi, dans l’« éco-maison » de la ville, des « ateliers d’autonomie », dans lesquels il apprend aux habitants à cuisiner leurs légumes, fabriquer leur propre lessive ou des cosmétiques.

La révolution verte après la crise sociale et industrielle ? Tel est l’itinéraire de Grande-Synthe, ville de 23 000 habitants davantage connue pour les migrants qui y font escale en chemin vers l’Angleterre que pour sa politique de transition énergétique. Composée à 70 % de logement sociaux, cette ville née dans les années 1960 avec l’explosion du port de Dunkerque cumule aujourd’hui les difficultés. La pauvreté touche 31 % de ses habitants, son taux de chômage frôle les 30 %…. Son usine sidérurgique, qui employait jadis 10 000 personnes, en fait désormais travailler cinq fois moins.

Troc, potagers et cueillette en libre-service

Face à ces défis, Damien Carême, maire (EELV) depuis 2001, croit que les politiques de développement durable sont les réponses de long terme aux difficultés sociales des habitants. L’édile, assis dans un fauteuil occupé de 1971 à 1992 par son père René, résume sa politique en une formule : la « transition ». Attirer de nouveaux habitants, alors que Grande-Synthe en a perdu 6 000 en trente ans ? Construire de nouvelles zones commerciales ? Soutenir l’agrandissement du port de Dunkerque, et l’accroissement du trafic routier qui irait avec ? Bien que créatrices d’emplois, ces stratégies lui semblent appartenir au passé. « On ne veut plus être tributaire de multinationales qui peuvent fermer demain », résume Damien Carême, qui mène paradoxalement sa politique grâce à la richesse fiscale que lui assure encore l’usine d’Arcelor Mittal.

S’il ne promet pas des emplois à ses administrés, Damien Carême cherche à leur faire gagner du pouvoir d’achat par d’autres moyens. La ville vient ainsi de lancer établissement de troc, assorti d’une monnaie locale, pour permettre aux habitants d’échanger des biens ou services.

Mais son ambition principale reste de faire de Grande-Synthe une « ville nourricière », « libérer des espaces pour remettre la nature en ville », et y « relocaliser la production agricole ». A l’ère postindustrielle, celle qu’on appellait « Usinorville » a fait son choix : renouer avec son passé d’avant-guerre de village rural. Outre les potagers municipaux, des arbres fruitiers ont été plantés dans divers endroits de la ville, avec cueillette en libre-service. Bientôt, des poulaillers partagés compléteront ce dispositif. Le maire vient surtout de racheter des terrains pour implanter une ferme bio de plusieurs hectares au cœur de la ville, qui fournira les cantines en légumes, et vendra le reste aux habitants. La ville dispose aussi de chevaux pour transporter des personnes, et s’est lancée dans l’éco-paturage : des animaux broutent l’herbe et remplacent les tondeuses.