Editorial du « Monde ». La France n’est pas seulement championne du monde de football, elle l’est aussi en tant que destination touristique. Ce mantra des pouvoirs publics a été une nouvelle fois répété, mercredi 3 octobre, par Jean-Baptiste Lemoyne, le secrétaire d’Etat chargé du tourisme, lors de la présentation du bilan de la dernière saison estivale, en annonçant que le cap des 90 millions de visites devrait être dépassé cette année.

Cette « troisième étoile » mérite toutefois d’être relativisée. D’abord, du fait de la situation géographique centrale de la France en Europe, un visiteur sur cinq ne passe qu’une nuit sur notre territoire, avant de rejoindre sa destination finale dans un autre pays. Par ailleurs, lorsqu’on prend en compte les dépenses des touristes, l’Hexagone n’occupe que la troisième place, derrière les Etats-Unis et l’Espagne.

L’enjeu économique reste néanmoins essentiel. Même si le secteur éponge 27 % de notre déficit commercial, cette activité a été longtemps négligée, le luxe, l’agroalimentaire ou l’automobile étant considérés comme des piliers plus respectables de notre économie. Certes, l’approche est en train de changer, mais les recettes touristiques ne représentent toujours que 2,3 % du PIB, contre 5,2 % en Espagne, selon les statistiques d’Eurostat. Il y a donc une marge de progression.

Conséquences négatives

Cette nécessaire course à l’attractivité ne doit toutefois pas faire perdre de vue la montée des conséquences négatives du tourisme de masse. Comme la plupart des destinations les plus courues, la France est désormais confrontée à un phénomène que les professionnels désignent sous le néologisme de « surtourisme ».

Le développement des voyages à bas coût, l’accession d’une part de plus en plus grande de la population mondiale à la classe moyenne et l’arrivée d’Internet ont généré une croissance exponentielle du nombre de touristes, qui, en 2017, a dépassé 1,3 milliard de personnes, dont la moitié à destination de l’Europe. Le premier secteur économique mondial n’est plus l’industrie pétrolière ou l’automobile, mais le tourisme.

Le fait que davantage de gens puissent voyager est plutôt une bonne nouvelle pour la croissance et l’emploi. Le problème est que ces foules de voyageurs ont tendance à se concentrer sur un nombre limité de destinations, au point de saturer les infrastructures de transport et d’accueil et de créer d’importants déséquilibres au niveau local.

Expression d’un ras-le-bol

Un peu partout, les autochtones expriment leur ras-le-bol face à cette invasion incontrôlée, alors que la manne financière apportée par les touristes a du mal à compenser les dégâts collatéraux. Les prix de l’immobilier s’envolent, l’emploi se concentre sur des métiers saisonniers et mal payés, l’environnement se dégrade, les villes se transforment en musées, en parcs d’attractions ou en lieux de beuverie permanente.

Au-delà de l’objectif louable de faire venir plus de touristes, il devient urgent de réfléchir à la canalisation de flux de visiteurs qui commencent à inquiéter les professionnels. Il ne s’agit pas de contester aux Chinois ou aux Indiens le droit de prendre part à cette démocratisation du voyage. Toutefois, une régulation relève du bon sens. Certaines villes ont commencé à mieux encadrer les plates-formes Internet de location saisonnière. La promotion de nouveaux points d’attraction ou l’étalement de la fréquentation grâce à l’organisation d’événements hors saison peuvent aussi contribuer à ce que les vacances des uns ne deviennent pas un enfer pour les autres.