Cela fait quatre ans qu’ils « trépignent d’impatience », confie l’ex-délégué CGT Mickaël Wamen. Depuis ce jour de janvier 2014 où ils ont signé avec la direction de leur usine Goodyear d’Amiens-Nord le protocole mettant fin à sept ans de lutte pour conserver leurs emplois. Et acté, du même coup, la fermeture de l’usine et le licenciement de ses 1 143 salariés.

Les 847 anciens salariés qui contestent leur licenciement économique vont enfin pouvoir assister à l’audience qui se tient jeudi 4 octobre devant les prud’hommes d’Amiens. Un nombre de plaignants exceptionnel, qui a obligé à délocaliser le procès au Zénith de la ville.

« Normalement, c’est un lieu de fête, mais nous ne sommes pas dans cet état d’esprit, lance Mickaël Wamen d’un ton vif. Notre espoir est de faire condamner lourdement cette multinationale, et de montrer que c’est encore possible de faire condamner une multinationale pour licenciement abusif en France en 2018. » Toujours prêt à en découdre, l’ex-représentant syndical devrait prendre la parole devant les anciens salariés avant l’audience.

Il y a des précédents : en 2011, quelque 500 ex-salariés du fabricant de pneus Continental de Clairoix (Oise) avaient attaqué leur entreprise pour licenciement abusif. Le procès s’était déroulé dans une ancienne patinoire. La même année, les juges prud’homaux de Mont-de-Marsan s’étaient installés dans un local municipal pour examiner la requête de 560 salariés du fabricant de meubles Capdevielle.

« Mais avec 847 plaignants, je pense que c’est le plus gros procès contre des licenciements économiques jamais fait en France », estime l’avocat des ex-salariés, Fiodor Rilov, spécialiste des procédures collectives contre les multinationales lors des fermetures d’entreprises – il était notamment l’un des avocats des salariés de Continental.

Un combat commencé en 2007

Le combat des Goodyear a commencé en 2007 : lorsque la direction a proposé la création d’un complexe industriel unique dans les usines de pneus d’Amiens-Nord et d’Amiens-Sud, devant se traduire par la suppression de 550 postes (sur 2 700) et la réorganisation du travail en 4 × 8, imposant aux ouvriers d’être présents une vingtaine de week-ends par an sans réelle augmentation de salaire.

Une réorganisation acceptée par les salariés du site d’Amiens-Sud, mais refusée par ceux d’Amiens-Nord. Début d’un bras de fer de ces derniers avec la direction, qui lance alors une série de plans de suppressions d’emplois dont les salariés obtiennent systématiquement l’annulation en justice, en même temps qu’ils se font connaître par des actions médiatiques, au Mondial de l’automobile ou lors de manifestations.

Ils deviennent alors l’un des symboles de la lutte contre la désindustrialisation en France. En 2011, c’est même sur le parking de l’usine que François Hollande, alors candidat à la primaire socialiste, promet de lutter contre les licenciements boursiers. Mais, devenu président, il ne peut empêcher Goodyear d’annoncer en 2013 la fermeture totale du site, qui sera actée un an plus tard.

Séquestration médiatique

La séquestration du DRH et du directeur de la production de l’usine pendant une trentaine d’heures fera la « une » des médias. Des faits pour lesquels sept salariés ont été condamnés à des peines allant jusqu’à douze mois de prison avec sursis en 2017.

Après des années d’attente – Goodyear a tardé à fournir les documents stratégiques exigés par l’avocat des salariés, et la chancellerie a fini par trouver une salle pouvant accueillir l’audience –, un nouveau round judiciaire se joue ce jeudi 4 octobre.

L’entreprise a toujours justifié les licenciements au nom de la sauvegarde de la compétitivité du groupe. « Notre objectif est de faire la démonstration qu’il n’y avait pas l’ombre d’un commencement d’une justification économique pour fermer l’usine d’Amiens-Nord », annonce Me Rilov, qui précise qu’en 2014 « le groupe Goodyear a fait 2,5 milliards de dollars de profit net, soit le profit le plus élevé que Goodyear ait jamais fait de son histoire ».

« Un drame social »

L’avocat entend également démontrer que le véritable employeur des ex-salariés n’était pas la direction française de Goodyear mais bien sa maison mère, Goodyear Dunlop Tires Operation, installée au Luxembourg. Rappelant que cette procédure est antérieure aux récentes réformes du code du travail, et notamment aux ordonnances Macron : les difficultés économiques d’une entreprise ne s’apprécient désormais plus qu’au niveau national, même si la multinationale dont elle est une filiale fait des profits.

« Ce procès, c’est aussi l’occasion de dire qu’il faut qu’on arrête de donner des droits aux multinationales, car derrière un licenciement, il y a de la souffrance, insiste encore Mickaël Wamen. C’est à un drame social qu’on assiste à Amiens. »

A ce jour, 188 anciens salariés sont partis à la retraite. Parmi les autres, selon la direction de l’entreprise, 346 ont retrouvé un travail, 102 ont créé leur entreprise, et 189 ont « quitté le congé de reclassement » après une « formation qualifiante ». Des chiffres contestés par l’ex-leader syndical, qui affirme que la grande majorité des anciens salariés sont encore dans des situations précaires : chômage, RSA, intérim ou CDD. L’enjeu, à travers ce procès, est donc aussi, pour eux, d’obtenir d’importantes indemnités.