Le gynécologue Denis Mukwege avec le danseur franco-congolais Bolewa Sabourin à l’hôpital de Panzi, à Bukavu, en République démocratique du Congo, en avril 2017. / DR

« Immense fierté. » C’est l’expression qui vient à Bolewa Sabourin en apprenant que le docteur Denis Mukwege est récompensé, vendredi 5 octobre, du prix Nobel de la paix 2018 en partage avec la jeune yézidie Nadia Murad. « C’est fou. Il m’a appelé hier pour me féliciter d’une prestation télévisée, de ma vidéo sur le site du Monde Afrique, et me demander d’avancer au plus vite sur la mise en place de protocoles d’évaluation scientifique des ateliers de danse », précise le danseur franco-congolais. Il ne prendra pas son téléphone tout de suite, par peur de déranger, « parce que tout le monde va l’appeler ». On est à une heure après l’annonce de ce prix Nobel et Bolewa Sabourin avoue son envie de pleurer de joie.

Le gynécologue, qui répare les femmes violées à l’hôpital de Panzi, à Bukavu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), et l’artiste, qui prolonge ce travail en les aidant à se réapproprier leur corps par la danse, échangent régulièrement depuis qu’ils ont commencé à travailler ensemble. « Denis Mukwege ne s’arrête jamais à l’existant. Il est toujours dans l’action, anticipe toujours le coup d’après », rappelle le danseur qui l’a croisé pour la première fois le 8 mars 2016 pour ne plus jamais quitter sa route.

« Comme un révélateur »

Ce jour-là, le gynécologue, qui a réparé plus de 50 000 femmes violées en presque vingt ans, donne une conférence à la mairie de Paris pour la Journée de la femme. Bolewa Sabourin est venu l’écouter. « J’étais en quête d’une figure congolaise paternelle. Et cet homme a dès ce jour incarné l’humanité dans ce qu’elle a de plus pur. Imaginez… une femme africaine lui demande combien de femmes violées il a réparé. Lui répond simplement que, s’il n’avait dû en opérer qu’une seule, ça aurait été une de trop. Cette phrase a agi sur moi comme un révélateur de la grandeur du personnage et j’ai décidé de lui offrir mes services », résume celui qui a écrit son histoire dans un livre intitulé La Rage de vivre.

« Il a été ma plus grande rencontre, n’hésite-t-il pas à ajouter. Je lui avais demandé en public comment je pouvais l’aider. Il n’a pas répondu mais est venu vers moi à la fin de la réunion, m’a posé une main sur l’épaule et m’a dit : “Faites-moi une proposition”. » Le jeune danseur sent l’immense confiance du personnage et mettra au point une approche de la danse qui permet aux femmes violentées de reprendre conscience de leur corps.

Le médecin lui inspire le projet Re-création qu’il réalise avec son ami William Njaboum. La méthode est innovante : utiliser la danse traditionnelle congolaise comme outil thérapeutique pour les femmes meurtries. Bolewa Sabourin se rend dans le fief du gynécologue, à la Fondation Panzi, où il organisera plusieurs stages.

« Un géant face à moi »

Le médecin, lui, intervient avant l’artiste. Denis Mukwege a créé en 1999 l’hôpital de Panzi, à Bukavu, capitale du Sud-Kivu, où il pratique la chirurgie réparatrice pour soigner des femmes victimes de viols. Cette région orientale de la RDC sombre alors, pour la seconde fois, dans la guerre (1998-2003) et voit s’affronter des soldats de huit pays, mais aussi des milices. Et sur ces terres, le viol est une redoutable arme de guerre.

Des horreurs, le chirurgien en a vu, sans jamais douter. Bolewa Sabourin a vécu des moments difficiles à ses côtés, sans jamais le voir s’arrêter, ni douter : « Cet homme reste debout face à l’adversité. Je l’ai vu en avril 2017 dans son hôpital de Bukavu. Au moment où son plus proche collaborateur est mort, tout le monde pleurait et lui a trouvé le courage de nous recevoir pour qu’on avance sur notre projet. J’avais l’impression d’avoir un géant face à moi. Je sais qu’il était infiniment triste, mais que le devoir d’avancer était plus fort que ce sentiment. » Le danseur est aussi bluffé du rythme que s’impose le praticien qui accorde ses rendez-vous professionnels entre 7 heures et 7 h 30 du matin, « parce qu’avant il prie, et qu’ensuite il part opérer ».

Bolewa Sabourin en est sûr, ce prix ne changera rien au quotidien du médecin : « En revanche, le fait qu’il ait été donné à un homme de terrain qui ne fait pas de politique rehausse à mes yeux la valeur de cette récompense. » Pour le danseur, « il rend aussi un peu de lumière et de dignité à un pays qui n’a jamais vraiment connu la paix ».

Bolewa Sabourin, la résilience par la danse